Carla Bruni en (fausse) fourrure, jambes nues et talons aiguilles, vapote au premier rang du défilé Saint Laurent. Qu'importent la pluie et le froid, l'ex-première dame est, ce mardi soir, terriblement « Saint Laurent ». Aussi insensible aux qu'en-dira-t-on et libre de ses choix que Betty Catroux et Catherine Deneuve, assises aussi aux côtés de François-Henri Pinault, fidèles parmi les fidèles d'YSL. Que pensent-elles de ces jeunes femmes qui foulent le podium devant elles, en costume, cravate et lunettes de vue, hommage au style personnel du couturier ? La première est indéchiffrable derrière ses lunettes noires. La seconde, impassible, scrute comme à son habitude chaque silhouette des pieds à la tête…
Lors de la collection homme en mars dernier, Anthony Vaccarello, le directeur artistique, avait déjà présenté un très beau défilé d'avatars du jeune Yves Mathieu-Saint-Laurent. « Je me suis rendu compte que de nombreux magazines avaient photographié ces looks sur des femmes, explique-t-il un peu plus tôt dans son bureau du siège social de la griffe, rue de Bellechasse, où a également lieu le show. Et par ailleurs, nous avons retrouvé une interview écrite de la fin des années 1990 où on demandait au couturier “Qui est la femme Saint Laurent pour vous ?” et il répondait cette phrase : “La femme Saint Laurent, c'est moi.” Je suis donc parti de son allure de ces années-là, qui me touche particulièrement, avec ses complets très masculins, sa cravate un peu trop grosse, un peu trop bordeaux, mais toujours très très chic. »
Se succèdent les costumes croisés à larges épaules et revers généreux, pantalon ample léchant le sol, chemise à grand col et cravate à motifs, à rayures, à pois ou unie que l'on croisait dans les quartiers d'affaires des années 1980. Les mannequins ont les mains dans les poches, et des lunettes aux montures massives inspirées du célèbre modèle en écaille d'Yves. Les manches de chemise sont retournées sur celles de la veste, la cravate est rentrée dans la ceinture. Les complets sont taupe, bleu marine, gris, ou parfois désassortis - et c'est encore plus beau. Passé par-dessus, un bomber, une veste de pilote, un blouson en cuir ou un trench… La saison dernière, Vaccarello avait créé « un » seul look tout en bas nylon, quasiment impossible à produire et qui posait la question de ce que les clientes de la maison pouvaient s'acheter. Là, elles auront donc du tailleur, de la chemise et du blouson, mais aussi quelques robes bain de soleil gipsy chic en noir et imprimés tapisserie très sombres, portées avec veste en cuir et colliers à la Loulou de la Falaise. Également, de très jolies vestes sans col, en brocart bicolore (vert et fuchsia, pourpre et safran, bourgogne et bronze…) à gros boutons verroterie telles de lointaines cousines des fameuses vestes hommage à Van Gogh. Elles viennent réchauffer des blouses de dentelle dégageant les épaules et des minijupes en volants de soie d'où dépassent des fonds de robe, avec toujours cette envie de flirter avec les conventions bourgeoises - ce qui ne provoquera jamais autant de remous que la collection Scandale de 1971, qui avait choqué l'establishment avec ce qu'on disait être inspiré des prostituées des années d'Occupation… Si ce débat est depuis longtemps dépassé dans l'industrie qui parfois se complaît même dans le laid, le seul mauvais goût, ici, c'est la maigreur de certains mannequins de la fin, et en particulier cette très jeune fille blonde dont on doute franchement que l'IMC respecte la charte commune signée par Kering et LVMH en 2017.
Après les bombers Saint Laurent, la collection de Courrèges nous pose question sur la saison ! Où sont les robes légères et les imprimés fleuris des défilés de l'été d'antan ? En tout cas pas chez Nicolas Di Felice, qui commence son show avec une sorte de robe housse cachant les bras et dont la capuche camoufle le visage, d'un noir luisant. Noires encore, les robes qui lui succèdent, construites ou déconstruites en se basant sur la précédente - une suite logique dirait-on en mathématique. « Cette saison, je me suis intéressé aux notions de cycles, et à la forme du ruban de Moebius, qui n'a ni début ni fin. Parce que nous pouvons passer des heures et des vies à essayer de trouver notre propre chemin pour rentrer à la maison », explique le Belge, qui, s'il n'a pas exploré l'optimisme cher à André Courrèges, semble faire écho à sa formation en génie civile. Au centre de la scénographie, un plateau aimanté fait circuler des milliers de billes de métal dans un bruit hypnotisant de vagues. Les mannequins font le tour, avec leurs lunettes masques un peu Space Age, leur perf en laine, les pantalons taille basse dégrafés sur le côté, les robes en maille métal. Après le noir, du blanc, puis du chair. Les pantalons ont les jambes reliées par une jupe, les robes enveloppent une jambe comme un pantalon. Comme construit devant derrière, le tailoring affiche ses poches, habituellement sur les fesses, sur les hanches. Pour le soir, des robes en crêpe noir font terriblement envie. Il manque tout de même à Di Felice de nouvelles pistes ainsi que l'esprit cool et pointu de ses débuts.
« C'est du Dries avec quelque chose en plus… Enfin, en plus… » Le complice de longue date du designer belge (qui s'est retiré des podiums il y a quelques mois) qui nous parle quelques minutes avant le show ne trouve pas le mot. En effet, comment est le nouveau Dries Van Noten sans Dries Van Noten, mais réalisé par l'équipe de Dries Van Noten ? Sans trop de surprises, on retrouve sur le podium de l'été 2025 beaucoup de ses codes : l'effet python, les clashs de couleur, les déshabillés et le costume d'homme détourné, un col de veste à moitié relevé révélant la feutrine picotée, les broderies indiennes de fils d'argent dégoulinant d'une épaule, les joggings en soie, etc. En ça, l'exercice est plutôt bien réalisé par la relève. Mais ce qui a toujours fait la singularité de DVN, c'est l'émotion que suscitait sa femme, hors du lot, jamais apprêtée, semblant mélanger les éléments de son vestiaire presque au hasard, toujours sur le fil du rasoir (c'est d'ailleurs la façon dont lui-même créait son stylisme, au dernier moment, et presque au doigt mouillé). Ici, les filles font plus « jeunes » et surtout leur allure est plus sexualisée, avec leurs talons un peu trop hauts, leurs minishorts en lingerie et leurs brassières largement dévoilées par les vestes ouvertes. En cherchant à être « moderne », le studio perd en subtilité et en sensualité, d'autant que les très nombreux sacs (qu'on ne voyait quasiment pas chez Dries, autrefois) n'aident pas. Disons donc que c'est loin d'être déshonorant et qu'il y a toujours de très jolies pièces, mais plutôt que du Dries avec quelque chose en plus, c'est du Dries… sans Dries.