Assassinat de Dulcie September : une enquête bâclée, la justice française exonérée ?

C’est une longue et pénible épreuve dans laquelle se sont engagés, il y a sept ans, la famille et les amis de Dulcie September, la représentante de l’ANC en France, assassinée de cinq balles dans la tête, le 29 mars 1988, devant la porte de son bureau parisien.

Leur but : qu’une enquête digne de ce nom soit réouverte afin de faire la lumière sur cet assassinat politique, devenu une affaire d’État. Car trente-sept ans après les faits, personne ne peut dire encore avec certitude qui a commandité le crime, ni qui a appuyé sur la gâchette, ce jour de mars 1988 où une figure de la lutte anti-apartheid a été éliminée en plein cœur de la capitale française. Et ce, très probablement parce qu’elle enquêtait sur les violations par la France de l’embargo sur le commerce des armes imposé à l’Afrique du Sud et sur les échanges de technologie nucléaire entre les deux pays.

Une affluence inhabituelle dans les prétoires de la justice civile

Mardi 2 avril, Clement Arendse, 49 ans, l’un des cinq neveux et nièces de Dulcie September, et Randolph Arendse, 85 ans, le beau-frère de la militante assassinée, ont donc à nouveau fait le déplacement, respectivement depuis Londres et Lausanne, pour assister à l’audience – pourtant ardue et technique – qui examinait, à la cour d’appel de Paris, dans le vieux palais de l’île de la Cité, la procédure lancée pour faire reconnaître les « fautes lourdes » et le « déni de justice » qu’ils reprochent à l’État français dans ce dossier.

Autour d’eux et de Me Yves Laurin, leur avocat, une bonne vingtaine de personnes s’étaient donné rendez-vous pour soutenir cette quête de vérité, parmi lesquelles Jacqueline Derens, l’amie, traductrice et biographe de Dulcie September, ou encore Daniel Breuiller, l’ancien maire d’Arcueil, la ville du Val-de-Marne où la militante de l’ANC avait élu domicile. Une affluence inhabituelle dans les prétoires de la justice civile, qui a d’ailleurs obligé la cour à changer de salle au dernier moment.

Pendant près d’une heure, Me Laurin a tenté de rappeler le caractère exceptionnel de ce dossier, son envergure historique sans équivalent et les multiples « entraves » subies par la famille. « On nous dit : c’est ancien, c’est prescrit, c’est irrecevable. Mais nous refusons qu’on inflige ainsi à Dulcie September une deuxième mort, judiciaire, cette fois », lance l’avocat. À l’appui de sa thèse, l’idée que cet assassinat relève du « crime d’apartheid », donc d’un crime contre l’humanité, ce qui le rend imprescriptible.

Me Laurin a également rappelé les « éléments nouveaux » tirés de l’accès à plusieurs cartons d’archives du ministère de la Justice de l’époque, mais aussi d’échanges « constructifs » avec le parquet national antiterroriste, compétent pour les crimes d’apartheid. « Ce qu’on a découvert, c’est que l’ensemble du dossier judiciaire, et tous les scellés qui allaient avec, ont été détruits ! Les vêtements ensanglantés de la victime, des morceaux de sa mâchoire éclatée par les balles, son agenda, ses carnets, ses cassettes audio… Tout ! C’est un pan entier de l’histoire de l’apartheid qu’on a effacé, dans le plus grand secret, il s’agit d’une faute irréparable ! »

Clement Arendse espère que la cour comprendra la démarche de la famille

Pas de quoi émouvoir Me Bernard Grelon, le représentant de l’Agent judiciaire de l’État. Parfois à la limite de la morgue, le défenseur de l’institution assure qu’ « il ne s’agit pas ici de l’affaire Dulcie September, mais d’un procès technique, qui doit examiner si la justice a commis des erreurs en décidant d’un non-lieu en 1992 ». Et ajoute-t-il, « quand on regarde le dossier, et qu’on s’écarte des fantasmes, on ne peut que confirmer le jugement de première instance », qui avait débouté la famille de ses requêtes.

À la sortie de l’audience, Clement Arendse, qui ne parle pas le français et pour lequel aucune traduction des échanges n’avait été prévue – un signe de plus d’une forme de maltraitance judiciaire -, se voulait malgré tout optimiste. « J’espère que la cour a pu comprendre ce que notre famille a traversé pendant toutes ces années, et combien il a été difficile d’arriver jusque-là », nous a-t-il confié. Jacqueline Derens, elle, se montrait plus inquiète après une audience jugée « violente et frustrante ». « L’État continue de considérer cet assassinat comme un crime de droit commun. Mais Dulcie n’a pas été tuée par un cambrioleur ou un amant éconduit. C’était un crime politique, elle a été tuée parce qu’elle s’opposait à l’apartheid ! »

L’arrêt de la cour d’appel sera rendu le 10 juin prochain.

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