Babilou au défi de se différencier des moutons noirs du secteur de la petite enfance

Dans un secteur qui n’en finit pas de faire scandale, les crèches privées Babilou veulent se distinguer des concurrents peu vertueux. Le groupe fondé en 2003 par les frères Carle est jusqu’à présent épargné par les révélations sur les dysfonctionnements du secteur en France. Le livre de Victor Castanet (Les Ogres) pointait surtout du doigt les dérives du réseau People & Baby, tandis qu’un récent rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) cible spécifiquement la Maison Bleue. « Nous entrons dans une ère nouvelle, constate Christophe Fond, le directeur général de Babilou. La bonne nouvelle, c’est que Babilou doit continuer à faire ce qu’il a toujours fait : privilégier la qualité de l’accueil ».

Babilou présente la spécificité d’être peu présent sur le marché des crèches municipales. À compter de 2010, les groupes de crèches privées se sont en effet livrés à une concurrence féroce pour obtenir la gestion de ces structures. Cette compétition a tiré le prix des berceaux vers le bas, et nui à la qualité de l’accueil.

« Quand les prix de ces délégations de service public sont devenus trop bas pour maintenir des prestations de qualité, nous nous en sommes retirés, à l’exception de certaines mairies qui acceptaient de payer un prix suffisant », explique Christophe Fond. Aujourd’hui, les crèches municipales ne représentent que 7% des berceaux gérés par le groupe en France, soit le quart de ses concurrents. Le groupe s’est a contrario spécialisé dans la gestion de berceaux pour le compte d’entreprises, comme L’Oréal.

Fidéliser et faire monter les salariés en compétence

Pour asseoir sa spécificité, le groupe vient de se doter d’un plan stratégique à horizon 2028. « Nous voulons devenir le meilleur opérateur de crèches privé à travers le monde, et continuer à être le lieu où les enfants sont les mieux accueillis, là où les équipes sont les plus mobilisées », explique le directeur général. Les contrôles sont ainsi renforcés dans les établissements, et les standards rehaussés dans certains pays où les règles sont moins disantes qu’en France. Depuis le mois d’avril, la satisfaction des parents est systématiquement mesurée chaque mois.

Babilou va améliorer la qualité de ses prestations. D’ici 2026, le groupe proposera un espace de verdure dans chacune des 1200 crèches qu’il opère dans le monde. « 100% des enfants accueillis sortiront deux heures par jour », précise Christophe Fond.

Mais dans le secteur de la petite enfance, la qualité de l’accueil dépend surtout de la formation et de la fidélité du personnel, une ressource pénurique. « Une partie de nos éducateurs quittent l’entreprise et le métier dès les premiers mois, explique Christophe Fond. Tout l’enjeu est de parvenir à conserver ces salariés. Il nous faut leur montrer qu’ils peuvent se développer chez nous ».

Investissements nécessaires

Les nouveaux arrivants bénéficieront d’une période d’adaptation et ne seront pas amenés à travailler avec les enfants dès le premier jour. 65% des managers devront par ailleurs être issus de la promotion interne. Un package de 10 heures de formation sera proposé à tous.

Toutes ces mesures ont un coût. Former les salariés nécessite d’investir 4 à 5 millions d’euros. Augmenter le personnel de 2% en moyenne, et de 4% à 5% pour une partie d’entre eux, implique encore de débourser 10 millions d’euros par an. Pour financer cet effort, le directeur général compte en partie sur une réduction des coûts au siège. Il compte aussi sur le déclenchement d’un cercle vertueux. « Si l’on réduit le turnover de 40% à 20%, cela génère les moyens nécessaires pour financer le développement des collaborateurs », poursuit-il.

Les défis restent néanmoins nombreux, en particulier en France, qui pèse 35% du milliard d’euros de chiffre d’affaires de Babilou. Le modèle économique des crèches privées y a été mis à mal ces dernières années. L’instauration d’une prestation de service unique (PSU, le nom de la subvention versée par la caisse d’allocations familiale) payée à l’heure plutôt qu’à la journée « a plongé le secteur de la petite enfance dans l’ère du chiffre », souligne Victor Castanet dans les Ogres.

Impact du télétravail

Babilou en fait aussi les frais. « Cette PSU horaire, conjuguée à l’essor du télétravail, a déstabilisé notre modèle économique. Nous sommes souvent en sureffectif le vendredi, le lundi et le mercredi, tandis que nous sommes à la limite de la tension le jeudi. Cela demande un pilotage très fin », explique Christophe Fond. La France est ainsi tout juste à l’équilibre.

Dans son rapport consacré à la Maison bleue, l’Igas déplore que le développement du groupe à l’international ait été financé par son activité en France. Babilou assure au contraire que ce sont ses crèches et ses écoles étrangères qui soutiennent l’activité française.

Globalement rentable, le groupe se porte mieux que certains de ses concurrents, et bénéficie même de leurs difficultés. Certains directeurs de crèches employés par la concurrence l’ont rejoint, et le groupe gagne des parts de marché auprès des entreprises, même si les tarifs s’inscrivent plutôt à la baisse.