Un parfait inconnu, Sing Sing, Julie se tait... Les films à voir cette semaine
Un parfait inconnu - À voir
Biopic de James Mangold - 2 h 20
Contrairement à une opinion très répandue, Bob Dylan n’est pas tombé du ciel. Il est arrivé du Minnesota. À l’époque, New York se gagnait en auto-stop. Tel apparaît l’aspirant chanteur, adepte de cette pratique démodée à la Kerouac, casquette de bolchevik sur le crâne et guitare en bandoulière. Dylan ne jure que par ses aînés. Il creuse son trou. Pour cela, il est prêt à tout. Mains dans les poches de son pantalon en velours milleraies, il compose ses morceaux à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. L’inspiration le saisit comme une fièvre. Les cafés de Greenwich Village accueillent le troubadour à lunettes noires. Sa voix change. De normale, elle devient nasillarde. Très vite, elle appartient à la légende. Sous ses dehors je-m’en-foutistes, le Musset à bottines ne pense qu’à lui. Insaisissable avec ça, un vrai courant d’air.
Le film glisse, s’autorise des ellipses. L’ensemble présente d’immenses qualités. James Mangold, dont le savoir-faire n’est plus à prouver, réussit à cerner cette personnalité opaque, à lui conserver son mystère. L’entreprise n’aurait pas le même attrait sans Timothée Chalamet qui traduit à la perfection ce mutisme entêté, cette certitude enfouie d’être au-dessus du lot. É. N.
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Sing Sing - À voir
Drame de Greg Kwedar - 1 h 47
Un drame carcéral sans émeute ni règlement de comptes se finissant au couteau. C’est le petit miracle de Sing Sing, de Greg Kwedar, portrait d’un groupe de prisonniers passionnés de théâtre. Incarcéré dans le tristement célèbre pénitencier de Sing Sing, dans l’État de New York, établissement de haute sécurité, pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G est le pilier de l’atelier de théâtre par sa force directrice. Il surprend ici ses camarades en décidant d’admettre dans leur groupe un certain Divine Eye. Ce caïd, qui gère de la prison un lucratif trafic de drogue, a un tempérament bouillonnant. Il ne tarde d’ailleurs pas à contester l’autorité de Divine G en persuadant la troupe de jouer contre son avis une comédie musicale sans queue ni tête où il est question de voyage dans le temps, de momie, de gladiateurs, du Hamlet de Shakespeare.
En résulte un long-métrage à fleur de peau flirtant avec le documentaire tout en laissant une grande part à l’improvisation, à l’humanité. Un film coup-de-poing sur la réinsertion et débordant d’espoir. C. J.
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Julie se tait - À voir
Drame de Leonardo Van Dijl - 1 h 37
Après le suicide d’une de ses camarades et la mise à l’écart de son entraîneur, Julie (Tessa Van den Broeck), prometteuse joueuse de tennis belge, décide de se taire. Un groupe de parole est créé pour que les langues se délient. Les responsables sont fébriles. Que s’est-il passé au juste, au Club des Hirondelles ? L’adolescente se protège. Julie a l’habitude de se sentir différente. Elle est plus douée que ses concurrentes. Cette fille sérieuse refuse les sorties. Le physique avant tout. La question qu’on lui pose le plus souvent se résume à ces mots : « Tu n’as rien à me dire ? » Le mutisme est un refuge. Le suspect lui donnera rendez-vous dans un bar. Moment de trouble. Ce Jeremy, pourtant pas bien inquiétant, lui touche le bras. Soudain, une phrase détonne : « Quand tu m’as demandé d’arrêter, j’ai arrêté. » On imagine alors le pire.
Feutrée, économe, presque froide, la forme renforce le propos, avec des cadrages géométriques, des hors-champs judicieux, une absence de psychologie qui est la bienvenue. Leonardo Van Dijl ne rate pas son entrée en cinéma avec Julie se tait. Il filme mâchoires serrées, avec une efficacité contenue. Tessa Van den Broeck monte au filet avec la tension d’une héroïne de Bresson sur terre battue. Sur l’écran, cette subtilité constitue une surprise de taille. Service gagnant. É. N.
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Slocum et moi - À voir
Animation de Jean-François Laguionie - 1 h 15
Présenté au Festival de Cannes puis au Festival d’animation d’Annecy, le dernier long-métrage de Jean-François Laguionie Slocum et moi relate avec charme, délicatesse et poésie son enfance en famille dans les années 1950 sur les bords de Marne. Le père, taiseux et secret, se met en tête de construire au fond du jardin la réplique du Spray, le navire de Joshua Slocum (1844-1909) qui fut le tout premier navigateur ayant réussi à faire le tour du monde en solitaire entre 1895 et 1898. Béret enfoncé sur le crâne, clope au bec, regard clair, et bleu de travail, ce père au sourire si doux ressemble à s’y méprendre au Jean Gabin jeune de La Marie du port.
Avec un trait au crayon de bois tendant vers l’esquisse, et des couleurs aquarellées offrant une belle transparence au récit, le film dresse le portrait chaleureux d’une relation père-fils qui aura su se passer de mots. O. D.
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Le choix du pianiste - On peut voir
Drame historique de Jacques Otmezguine - 1h46
Né dans la grande bourgeoisie de l’après Première Guerre mondiale, François Touraine démontre dès son enfance un immense talent pour le piano. De quoi convaincre sa mère de passer outre l’oukase paternel et de lui faire suivre des cours auprès de Rachel. Les années passent. La roue de la fortune tourne. Les Touraine sont ruinés mais le don de François lui vaut d’être repéré. À ce succès s’ajoute l’éveil des sentiments qu’il éprouve vis-à-vis de Rachel. Mais la jeune femme juive d’une décennie son aînée a bien du mal à accepter leur attirance. Une idylle d’autant plus fragile qu’en Allemagne le nazisme arrive au pouvoir. Recruté dans un orchestre outre-Rhin, François est témoin des persécutions. Revenu en France, il tente d’avertir Rachel en vain. Pour la sauver, il accepte de jouer pour l’Occupant. Reconstitution historique soignée, Le choix du pianiste est à la fois une romance impossible et une plongée dans le microcosme de la musique classique, qui a payé un lourd tribut au nazisme. En balayant trois décennies, de la crise de 29 aux lendemains de l’Épuration, le film explore les zones d’ombre de la mémoire collective et le dilemme entre convictions et situation personnelle. Si le dénouement mélo teste les limites de la crédulité, l’interprétation sensible d’Oscar Lesage (déjà remarqué dans The Substance et la série Bardot), aussi à l’aise dans la peau d’un amoureux exalté qu’un musicien brisé, mène quand même le spectateur à bon port. C.J.
La Pie voleuse - À éviter
Drame de Robert Guédiguian - 1 h 41
Marius et Jeannette ont vieilli. Presque trente ans ont passé depuis leurs premières amours. Ils se sont appauvris aussi. Entre la fermeture de l’usine, le travail au noir et une retraite de misère, ils vivotent dans une maison de L’Estaque. Dans La Pie voleuse, Marius s’appelle Bruno (Gérard Meylan). Il tue le temps en jouant aux cartes et en bricolant des motos. Jeannette se nomme Maria (Ariane Ascaride). Elle est une auxiliaire de vie gentille et dévouée. Elle filoute aussi, barbote un billet de dix euros pour se payer six huîtres.
Plus belle la vie à l’Estaque ? Oui et non. La nostalgie, politique et sentimentale, de Guédiguian vire à l’aigre. C’est tout de même triste de penser et filmer cette fracture générationnelle avec si peu de nuances. Robert Guédiguian, et son ami et coscénariste Serge Valletti, tous deux septuagénaires, portent de nouveau un regard désabusé sur leurs enfants après eux. Les cocos aussi font les vieux cons. É. S.
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