Cette vidéo ne montre pas un sous-marin nucléaire russe lançant des missiles près de la Floride
La vérification en bref
- Un sous-marin nucléaire russe aurait tiré des missiles lors d'exercices militaires effectués à proximité des côtes de la Floride aux États-Unis, ainsi que le montrerait une vidéo publiée sur les réseaux le 12 mai.
- La vidéo date en fait de l'année 2018 et a été filmée lors de manœuvres en mer Blanche au nord-ouest de la Russie. Le sous-marin lanceur d'engins visible dans la vidéo n'a pas été déployé durant les exercices en cours à Cuba.
Le détail de la vérification
Une réminiscence de la Guerre froide et de la crise des missiles à Cuba de 1962 ? Une vidéo publiée le 12 mai, vue plus de 5 millions de fois sur X et partagée également sur Facebook, montrerait un sous-marin nucléaire russe en train de tirer des missiles balistiques, à une distance d’à peine plus de 100 km des côtes de la Floride. "Ce que les États-Unis peuvent faire à la Russie, la Russie peut le faire aux États-Unis", jubilent les comptes pro-russes partageant la vidéo sur les réseaux sociaux.

Une vidéo de 2018 en Russie
Si effectivement la Russie organise en ce moment même des exercices militaires à Cuba, la vidéo n'a aucun rapport avec les manœuvres en cours.
À l'aide d'une recherche d'une image inversée (voir ici comment faire), il est possible de retrouver la vidéo originale. Elle a été publiée le 23 mai 2018 sur la chaîne youtube du média américain Voice of America. Ainsi que l'indique la légende, la vidéo montre un tir effectué par le sous-marin nucléaire Yuri Dolgoruky à partir de la mer Blanche, une mer située au nord-ouest de la Russie.
Si le Yuri Dolgorurky est bien un sous-marin nucléaire lanceurs d'engins, c'est-à-dire capable de lancer des missiles balistiques Bulava qui peuvent être équipés d'ogives nucléaires comme ceux que l'on voit dans la vidéo, il est très peu probable de le voir un jour en exercice près des côtes américaines.
Il s’agit d'abord, "d’éviter les méprises ", explique à notre rédaction Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux et officier de réserve dans la Marine. "Les Russes ne font pas les idiots avec les missiles balistiques nucléaires. En vertu des accords de signalement ils préviennent à chaque fois qu'un tir est effectué et ils ne s'approcheraient pas des côtes [avec un sous-marin lanceur d'engins] pour pas que cela soit pris pour une attaque."
Ensuite, pour des raisons de discrétion : "les sous-marins lanceurs d'engins ne font généralement pas d'escale dans les ports [comme à Cuba] parce que ce sont des sous-marins dont le job est d'être discret en permanence. Ils restent au fond des eaux en attendant un hypothétique ordre de tir", note le spécialiste.
D'ailleurs, pour éviter de révéler la position du bâtiment, un exercice de tir par un sous-marin lanceur d'engins va toujours se dérouler dans "un bastion", explique l'expert. "C'est-à-dire qu'on va blanchir la zone [d'où le sous-marin va tirer] avec des forces d'escorte comme d'autres sous-marins, des frégates et des avions de patrouille, pour s'assurer que personne ne va venir trop près du sous-marin pour l'espionner". Afin de ne pas donner de "précieuses informations [un sous-marin lanceur d'engins] ne s'approchera donc jamais des côtes adverses", insiste Stéphane Audrand.
Pas de sous-marins lanceurs d'engins à Cuba
La flotille de quatre navires envoyée par la Russie à Cuba ne comporte ainsi pas de sous-marin lanceur d'engins comme celui montré dans la vidéo partagée sur les vidéos sur les réseaux. Outre un navire citerne, un remorqueur, "une frégate de premier rang", la flotte russe comprend bien un sous-marin nucléaire mais "d'attaque", équipé d'un réacteur pour sa propulsion, insiste Stéphane Audrand. La mission fondamentale d'un sous-marin nucléaire d'attaque est la "supériorité navale" précise l'officier, c'est-à-dire "attaquer les navires adverses ou éventuellement la flotte marchande" et donc pas le lancement de missiles balistiques.
Si les bâtiments déployés sont modernes et peuvent théoriquement être équipés d'armes nucléaires tactiques, la force engagée à Cuba est "du domaine du symbolique, sans couverture aérienne digne de ce nom, alors que les États-Unis ont des centaines d'avions, des dizaines de navires et de sous-marins dans la zone" juge Stéphane Audrand.
Lors d'une conférence de presse ce mercredi 12 juin, le Pentagone a indiqué "prendre au sérieux" les exercices russes à Cuba tout en estimant "qu'ils ne constituaient pas une menace contre les États-Unis".
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