Décès d’Edmund White, porte drapeau de la littérature gay américaine et auteur de La Symphonie des adieux
Le romancier américain Edmund White, figure de proue de la littérature LGBT, est décédé à l’âge de 85 ans, a annoncé mercredi son agent à la presse. À travers une œuvre largement autobiographique, le romancier, noveliste et professeur avait chroniqué les années d’émancipation gay, celles sombres de l’hécatombe du sida jusqu’à nos jours avec les droits accordés aux homosexuels.
Dès ses premiers livres et jusqu’au dernier paru en janvier aux États-Unis - The Loves of My Life, l’homosexualité est au cœur de son écriture : il raconte et se raconte, des années 1950 où être gay est une maladie mentale jusqu’aux années sida qui déciment toute une génération. « J’ai peut-être 200 amis qui sont morts », disait-il. En passant par la libération sexuelle après les émeutes de Stonewall en 1969 - il vit aux premières loges cette « prise de la Bastille » pour les homos selon ses termes - et la décennie 1970, âge d’or à New York de la « promiscuité sexuelle ». «L’écriture a toujours été un recours pour moi quand j’essaie de donner un sens à mon expérience ou lorsque les choses sont très douloureuses», confiait ce militant très investi dans la défense de la « cause gay ».
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L’admiration de Nabokov
Adoubé dès son premier roman, Oublier Elena (1973), qualifié par l’auteur Vladimir Nabokov de « livre merveilleux », l’écrivain new-yorkais, également journaliste, critique littéraire et enseignant, devient vite un auteur qui compte. Il enchaîne avec le très explicite The Joy of Gay Sex (1977), sorte de Kama Sutra illustré devenu une référence homo outre-Atlantique, Nocturnes pour le roi de Naples (1978), Voyages en Gay Amérique (1980) et sa tétralogie à succès, autofiction sur les différentes étapes de sa vie : Un jeune Américain (1982), La Tendresse sur la peau (1988), La Symphonie des adieux (1997) et L’Homme marié (2000). Avec son humour corrosif, il poursuit ce travail de mémorialiste avec Mes vies (2005) et City Boy (2010).
Le vocabulaire est souvent direct, le récit se veut le plus honnête possible. Au risque de choquer ? En chroniquant Mes Vies, autobiographie parue en français en 2007, Le Figaro loue sa sincérité. « Devant les livres de cet écorché vif les frileux ont pu brandir l’avertissement : Peut heurter la sensibilité des jeunes lecteurs. Certes, si l’on entend par là que fidélité et extrême sincérité peuvent être choquantes. Nulle vulgarité, nulle gratuité dans cette mise à nu. Mais de l’élégance, de la générosité, des idées et beaucoup d’humour, oui. Le racisme de son père, la folie de sa mère, ses ambitions artistiques, sa crainte d’être confondu avec son grand-père, auteur de trois livres de «blagues nègres», la vie parisienne et ses rites, ses agacements aussi : l’ami de Rushdie et de Joyce Carol Oates, biographe de Jean Genet, professeur à Princeton, est estampillé “écrivain gay”... “Cette distinction n’a pas lieu en Europe, mais ici tout est cloisonné, jusqu’à notre politique. Mes livres sont rangés dans les sections gays des librairies, tempête-t-il. C’est contre l’idée de la littérature, qui est une grande conversation entre gens très différents.”»
Ulysse devient Odette
Si certains lui reprochent « un excès de bites » dans sa prose, ce romancier de l’intime est, pour le critique Sergio Belluz, « un must pour ceux qui veulent connaître la petite histoire, la culture et la sociologie du mouvement queer depuis les années 1960 à New York ». Fasciné par la thématique de l’aveu - il confesse des milliers de partenaires -, l’homme au sourire mutin se montre à l’inverse pudique dans la vie. « Autant j’aime écrire avec la plus grande crudité et la plus grande franchise, déclare-t-il en 2006 au Monde, autant je déteste afficher mon intimité en public. »
Deux ans plus tard, Le Figaro lui ouvrait ses pages pour la publication d’une nouvelle inédite intitulée Une Odyssée moderne, contant le changement de sexe d’un certain Ulysse en Odette. « Personne n’avait jamais trouvé Ulysse efféminé, bien qu’il ait toujours été considéré comme timide et peu imposant, écrivait Edmund White. Presque invisible. Il n’avait connu qu’une fille à l’école : sa voisine, la laide et assommante Athéna, qui portait ce prénom que sa mère aimait tant, bien qu’elle n’ait pas la moindre origine grecque. Enfants, Ulysse et elle avaient joué ensemble des heures et des heures ; adolescents et même jeunes adultes, il en était resté une sorte de proximité taciturne, réservée mais d’une loyauté absolue. Athéna s’était bien rendu compte, pendant leurs jeux d’enfants, qu’Ulysse préférait faire le patient plutôt que le docteur ; sa nature le poussait vers une sorte de passivité sereine, ce qui s’avéra fort utile au cours de ses innombrables opérations. »
Biographe de Genet, Proust et Rimbaud
Edmund White a vécu près de quinze ans à Paris dans les années 1980-1990 et est l’auteur de plusieurs biographies consacrées à Jean Genet - l’ouvrage fait autorité - Marcel Proust et Arthur Rimbaud, trois figures homosexuelles françaises.
Né le 13 janvier 1940 à Cincinnati (Ohio), Edmund White grandit à Chicago. Père entrepreneur, coureur de jupons et rigide, pour qui porter une montre classe déjà un garçon dans la catégorie «efféminé». Mère psychologue à qui il révèle à 14 ans qu’il préfère les garçons: elle le confie à une armada de psys pour essayer de le débarrasser de sa « maladie ». Mais lui a décidé tôt d’être « un gay heureux plutôt qu’un homosexuel rééduqué ». Après des études de chinois à l’université du Michigan, il fuit l’Amérique profonde de sa jeunesse pour suivre un amant à New York. White découvre la liberté sexuelle, synonyme de liberté tout court. «Je me suis mis à me dire que les gays pourraient un jour constituer une communauté plutôt qu’un diagnostic médical ».
Il pige pour Newsweek et travaille plusieurs années pour la maison d’édition Time-Life. Ses succès littéraires lui ouvrent les portes des universités prestigieuses (Johns Hopkins, Columbia, Yale, Princeton...) où il enseigne l’écriture et la littérature homosexuelle. De retour à New York après Paris, il s’installe dans les années 1990 à Chelsea avec son compagnon de 25 ans son cadet, l’écrivain Michael Carroll, épousé en 2013.
Séropositif depuis 1985 - il fait partie de ces rares asymptomatiques à long terme -, il a subi dans les années 2010 deux AVC et une crise cardiaque qui l’ont affaibli. Sans lui faire perdre cette « quête de la légèreté » qui, comme un credo, l’a constamment animé. « Traverser les difficultés mais ne pas se plaindre, continuer, garder toujours la gaieté de l’esprit », disait-il.