À Bordeaux, près du quartier des Capucins, les riverains à bout face aux dealers
À Bordeaux, dans la rue Élie Gintrac et les ruelles qui l’entourent, la problématique du trafic de drogue existe depuis plus d’une décennie. Assorti du dérangement et des nuisances sonores que provoquent les regroupements de personnes qui boivent de l’alcool et consomment de la drogue autour du célèbre marché des Capucins, ce climat insupporte la plupart des riverains. Une situation, qui a atteint son paroxysme avec le meurtre par balle d’un individu, le 31 janvier, sur fond d’alcoolémie. «C’est presque l’aboutissement logique d’une situation qui s’est normalisée. On tire la sonnette d’alarme depuis des années», déplore Margaux*, membre du collectif Gintrac, une association de riverains qui aimerait retrouver de la tranquillité dans le quartier. En colère face à l’action des pouvoirs publics qu’elle juge insuffisante malgré leurs efforts, cette mère de famille dit se sentir «oppressée», «consternée» et «abandonnée». «On a le sentiment que ces personnes qui posent des problèmes ont plus de droit que nous. On a peur, on baisse les yeux et on ne prend pas de risque parce qu’ils sont armés», confie-t-elle au Figaro.
Elle n’est pas la seule Bordelaise à penser ainsi. Louise*, qui avait acheté et rénové à grands frais un appartement dans le quartier en 2018, vient de déménager. «Les dealers se disputent, jettent des bouteilles en verre jusqu’au 3e étage des immeubles, taguent les murs, arrachent les fils électriques et mettent leurs déchets partout. L’été, ils font du bruit toute la nuit. Et la mairie de Bordeaux minimise les choses, c’est insupportable», témoigne la jeune femme. En vente depuis 9 mois, son appartement n’a toujours pas trouvé preneur : en découvrant l’adresse exacte du bien, la majorité des potentiels acheteurs se désistent avant même une visite.
La mairie de Bordeaux prend le problème à l’envers : elle nous envoie des médiateurs pour cohabiter avec les dealers. Nous, on refuse de négocier avec les dealers. On veut qu’ils partent
Margaux*, une riveraine de la rue Élie Gintrac
Et pour cause, l’insécurité vécue par les riverains du quartier est une réalité qui va au-delà du sentiment. «Quand je me suis installée, je devais passer entre une dizaine de dealers pour entrer dans la cage d’escalier de notre appartement. Ils se moquaient de nous et nous envoyaient des pétards. Un jour, l’un d’entre eux est tombé à 30 centimètres de ma jambe», se remémore ainsi Louise. Pauline*, qui a ouvert un commerce non loin en 2020, a baissé le rideau dès janvier 2023. «Le deal a explosé après la pandémie de Covid-19. Ces gens vendent de la drogue au milieu des familles avec poussettes. Ils font même du “drive deal” : les voitures passent en baissant leur fenêtre, les dealers soulèvent une plaque d’égout et voilà», décrit la trentenaire désabusée. «Pour les femmes, c’est encore plus affreux. Quand je passe dans ma rue, mon cœur s’accélère», ajoute Margaux.
«La loi est pour qui ? Ceux qui la respectent ?»
Consciente de la situation, la mairie assure qu’Élie Gintrac est «la zone de Bordeaux où sont concentrés le plus de moyens avec le renfort de la police municipale». Mais les fréquentes opérations de contrôle - 400 d’entre elles ont été réalisées entre janvier et octobre 2024 - ne semblent pas suffire pour les habitants. «Quand la police municipale passe, les dealers baissent la musique, les agents restent dans leur voiture et ils disent qu’ils n’ont pas de quoi verbaliser», dénonce Louise. Tandis que Margaux s’offusque : «On nous assure qu’il y a des caméras 24h/24 et on n’arrive pas à les prendre en flagrant délit. On nous dit aussi que quand les dealers sont arrêtés, la justice les relâche. Mais la loi est pour qui ? Pour ceux qui la respectent ?»
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«C’est le jeu du chat et de la souris», admet Marc Etchevery, l’adjoint au maire chargé de la sécurité, la prévention de la délinquance et la médiation. La mairie a en effet mis en place plusieurs arrêtés pour interdire la consommation d’alcool, les regroupements dans la rue et même fermer certains commerces dès 20 heures. Bien que ces règles ne soient pas toujours respectées, 200 procès-verbaux pour «consommation d’alcool sur la voie publique» ont été dressés dans le quartier en 2024 selon l’élu. Trois nouvelles caméras de surveillance doivent aussi être implantées dans le quartier, portant leur nombre à 5 dont 2 dans la rue Élie Gintrac ; tandis que des médiateurs passent régulièrement sur la chaussée pour «dialoguer avec les personnes qui stagnent».
Alexia Sonnois, membre du collectif Élie ta rue qui collabore avec la mairie, tempère pour sa part la grogne : «Évidemment que l’on a peur, car une arme à feu ce n’est pas anodin. Je ne veux pas banaliser ce meurtre, mais il ne s’agit pas d’un règlement de compte entre trafiquants de drogue. Je ne me sens pas en insécurité dans mon quartier que j’habite depuis 17 ans.» Avec son association qui tente de se réapproprier l’espace public notamment en organisant des activités dans la rue tous les premiers dimanches du mois, Alexia Sonnois estime que «la situation est trop complexe pour que la mairie puisse la régler en un claquement de doigts, quelle que soit sa couleur politique». Lasse, Margaux récuse ce discours : «Il faut arrêter de se moquer de nous : ils sont élus et payés pour trouver des solutions. Je ne voterai plus jamais écolo, la mairie de Bordeaux prend le problème à l’envers : elle nous envoie des médiateurs pour cohabiter avec les dealers.» Avant de conclure : «Nous, on refuse de négocier avec les dealers. On veut qu’ils partent.»