C’est l’un des chantiers prioritaires qu’a lancé Yann Roubert quand il a été élu à la tête de la Ligue nationale de rugby : «éradiquer la tricherie» sur le salary cap, ce plafonnement de la masse salariale des clubs actuellement fixé à 10,7 millions d’euros. Des sanctions sportives ont été instaurées en cas de manquements aux règles de ce salary cap, quelques mois après les révélations fracassantes concernant le transfert de Melvyn Jaminet de Perpignan à Toulouse en 2022. Le Stade Toulousain (dont le budget cette saison est de 55,8 millions d’euros), avait été sanctionné d’une amende de 1,3 million d’euros. Un problème d’opacité récurrent depuis de nombreuses saisons, tant les clubs ont su trouver des moyens de contournements de cette mesure.
À l’occasion des 30 ans du passage au rugby professionnel, Mourad Boudjellal, l’ancien président du RC Toulon qui a dynamité les habitudes Top 14 entre 2006 et 2020, était revenu, dans un entretien pour Le Figaro, sur cette question. «On ne va pas se mentir : tout le monde ne respecte pas le salary cap, de différentes façons. Un jour, un président de club m’a dit : "Moi, je donne 200.000 euros à un joueur à Hong Kong, mais je les déclare. Ils sont dans les comptes du club, donc je ne triche pas…" Je l’ai dit à la Ligue, c’est resté lettre morte. Ce que je veux dire, c’est que même ceux qui gueulent le plus contre le non-respect du salary cap trichent. Même ceux qui sont au plus haut niveau de la Ligue, ils trichent ou ont triché. Voilà.»
Passer la publicitéQuand vous avez des tas de marchés à côté, vous pouvez bien dire à quelqu’un de prendre les droits d’image d’un joueur, donc cela n’entre pas dans le salary cap
Mourad Boudjellal
En son temps, Boudjellal, qui avait recruté pléthores de stars internationales et qui était régulièrement dans le viseur de la DNACG (l’Autorité de régulation du rugby, devenue depuis l’A2R), était expert pour détourner ce salary cap instauré en 2010. Sur les ondes de RMC, le président victorieux du Top 14 en 2014 et de la Champions Cup entre 2013 et 2015 avait révélé dès 2018 que des dirigeants rémunéraient certains joueurs via des paradis fiscaux, certains étant même payés en bitcoins. Et d’expliquer : «Si un partenaire achète l’image d’un joueur, cette somme intègre le salary cap. Quand vous avez des tas de marchés à côté, vous pouvez bien dire à quelqu’un de prendre les droits d’image d’un joueur, donc cela n’entre pas dans le salary cap.» Le versement de cette somme par un partenaire à un joueur en guise de prime était donc tout à fait légal. C’est ce que la LNR entend désormais réguler.
La sortie de Dupont a fait du bruit
C’est donc essentiellement sur ces versements parallèles de la part de partenaires que la Ligue entend statuer. «Les règles du salary cap nous empêchent d’utiliser notre image individuelle à travers des contrats de pub classiques», a déploré Antoine Dupont en marge du renouvellement du partenariat entre le Stade Toulousain et Peugeot, dont il est aussi ambassadeur à titre individuel. Et de déplorer : «On se retrouve dans une économie du rugby qui est grandissante (...) grâce à nous les joueurs au milieu et au final on n’est pas bénéficiaire de ça puisque le salaire stagne, voire baisse, et on ne peut pas utiliser notre image. Ça commence à faire beaucoup.» La LNR rétorque, pour sa part, qu’elle «n’interdit en aucun cas à un joueur de disposer de son droit à l’image. Ce qui est prévu, c’est que les contrats conclus avec une entreprise partenaire du club soient déclarés dans le salary cap par les clubs. C’est un principe de transparence, récemment renforcé, qui vise à éviter tout contournement du plafond salarial par des rémunérations indirectes.»
Certains ont des crédits au niveau du salary cap et peuvent faire n’importe quoi, là-bas du côté de la Garonne...
Bernard Pontneau, président de Pau
Le problème du salary cap reste plus global. Beaucoup de grosses écuries sont régulièrement suspectées de contourner cette mesure, au regard de la richesse et la densité de leur effectif. Arriver à rester sous la barre des 10,7 millions d’euros de masse salariale apparaît, pour beaucoup, fantaisiste.
Le «crédit pour les internationaux» fait grogner en coulisses
Sauf que les choses ne sont pas aussi figées. Les grosses écuries de l’élite, celles qui fournissent le plus grand nombre d’internationaux au XV de France, bénéficient en effet d’un mécanisme pour pouvoir gonfler leur masse salariale : à savoir un crédit annuel de 180.000 euros par international accordé à chaque club pour compenser ses absences, à condition qu’il soit sur la liste «premium» établie chaque début de saison par la LNR et la FFR. Une compensation similaire (à hauteur de 100.000 euros) a été également mise en place pour les joueurs de l’équipe de France à 7.
Selon les informations de Sud Ouest, le salary cap réel de Toulouse est donc, dans ces conditions, de 13,5 M€, devant La Rochelle (12,1 M€), Bordeaux-Bègles (11,7 M€) et Toulon (11,5 M€). Bernard Pontneau, le président de la Section Paloise qui compte désormais plusieurs joueurs convoqués régulièrement par Fabien Galthié (Gailleton, Auradou, Attisogbe), n’avait pas mâché ses mots dans les colonnes de La République des Pyrénées : «Il faut qu’il y ait un équilibre dans les masses salariales. Certains ont des crédits au niveau du salary cap et peuvent faire n’importe quoi, là-bas du côté de la Garonne...» Selon le dirigeant béarnais, «que l’on ait des écarts de masse salariale par rapport à l’attractivité des clubs, c’est normal. Mais les écarts sont trop grands. On risque d’avoir toujours les mêmes vainqueurs à la fin.» La grogne monte, depuis quelque temps, sur la question de ce «crédit pour les internationaux». La LNR pourrait faire évoluer les choses d’ici... la saison 2027-2028. En attendant, le flou et les incompréhensions demeurent sur beaucoup d’aspects du salary cap.