Notre critique de Marco : quand un homme s’invente un passé inspiré par la Shoah

Notre critique de Marco : quand un homme s’invente un passé inspiré par la Shoah

Marco, l’énigme d’une vie. Epicentre Filmps

Dans cette sombre farce d’Arregi et Garaño, le héros navigue en eaux troubles. Un art du mensonge ni reluisant ni sordide.

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Quand même, il fallait oser. Enric Marco présidait l’association des victimes espagnoles de l’Holocauste. Il prétendait avoir été déporté sous le numéro 6448. On lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Pourquoi douter de lui ? Il allait parler dans les écoles, se démenait pour rappeler cette parenthèse occultée de l’Histoire. Ses interventions avaient de l’allure. Il y mettait de l’émotion, une conviction en béton armé.

Le film commence et on le voit se rendre en Bavière pour obtenir un certificat prouvant son passé. L’administration de Flossenbürg ne trouve aucune trace de son séjour dans le camp. Il se perd en explications oiseuses. Son nom aurait été changé. Tout cela parce qu’un historien vétilleux est à ses trousses et qu’une cérémonie commémorative approche (Zapatero doit y assister). Il ne répond pas au téléphone, repousse les rendez-vous, devient un être de fuite. Ses collègues n’en croient pas leurs yeux. Pas lui, non. Ils tombent de haut. La vérité surgira. Elle n’est pas reluisante, mais peut-être pas aussi infâme qu’on le redoutait.

Faussaire de sa propre existence

Cet épisode à la Borges est tout ce qu’il y a d’authentique. Au départ, Aitor Arregi et Jon Garaño (Une vie secrète) avaient songé à un documentaire. Leur modèle s’étant défaussé, ils se sont rabattus sur la fiction. On ne saurait leur donner tort, le vertige saisissant le spectateur lorsque le romancier Javier Cercas en chair et en os rencontre pour de bon celui auquel il a consacré un livre (L’Imposteur). Eduard Fernandez prête ses traits bourrus, sa moustache de morse à ce drôle de personnage. Cas pathologique ? Artiste malgré lui ? Mégalomane ? Un comédien, peut-être. Contre lui, les preuves s’accumulent. Faussaire de sa propre existence, il nie en bloc, s’enlise. Le soupçon grandit. L’historien revient à la charge.

À l’association, les réunions tournent au vinaigre. Les autres le lâchent. Ils tombent de haut. Ses proches tâchent de tenir bon. Le moyen de sauver la face ? Le mensonge est de taille. Il n’en démord pas. C’est lui qui prononcera le discours le jour de l’événement. Le pathétique le dispute à l’obscène. Le remords n’appartient pas à son tempérament. Le film utilise des images d’archives, permet de vérifier que l’Espagne avait eu aussi son équivalent du STO.

Le mystère demeure chez ce mythomane au physique de M. Tout-le-Monde qui offre du butifara à ses amis et ne déteste pas être au centre de l’attention. On ne lui demandait rien, en plus. Le fait est qu’il était un conteur volubile et inspiré. Voilà le pire. Jusqu’au bout, il s’en tiendra à sa version. Cela inspirera, au choix, du chagrin ou de la pitié. La trahison est à ce prix. Sombre farce, Marco est le cousin hispanique et sulfureux de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Les faits divers sont trop compliqués pour nous. Un Simenon l’avait compris. Arregi et Garaño nous le rappellent.