Nadia Calviño : "Malheureusement, nous devons renforcer de la défense européenne"

À l’issue du Conseil européen des 20 et 21 mars, les pays européens ont réaffirmé leur soutien à l’Ukraine ainsi que leur volonté de renforcer les capacités de défense européenne.

Dans ce contexte, la Banque européenne d'investissement (BEI) a un rôle majeur à jouer. L’an passé, elle a produit 89 milliards d’euros de titres obligataires sur les marchés financiers pour de grands projets de transition énergétique et numérique, d'actions en faveur du climat ou de politiques de cohésion. Alors qu’auparavant les projets militaires soutenus par la BEI devaient être majoritairement dédiés au secteur civil, les investissements dans la défense sont à présent en hausse, notamment depuis le début de la guerre en Ukraine

"L'année dernière, nous avons doublé les investissements dans la défense"

Un changement d’orientation défendu par sa présidente, Nadia Calviño : "Malheureusement, nous devons renforcer les capacités européennes de sécurité et de défense ! Chaque institution doit jouer son rôle et la BEI est prête à y contribuer : Nous pouvons proposer, à des taux d'intérêt bas et avec de longues périodes de maturité, de gros investissements dans les infrastructures, par exemple pour la mobilité militaire, pour les casernes, la recherche, le domaine de l'espace ou la protection des frontières", précise-t-elle. 

Alors que la Commission européenne a annoncé un investissement dans la défense pouvant atteindre les 800 milliards d’euros, la BEI prévoit de prêter deux milliards d’euros pour des projets liés à la sécurité. "L'année dernière, nous avons déjà doublé les investissements dans la sécurité et la défense de l'Europe. Cette année, nous prévoyons de les doubler encore au moins une fois", explique Nadia Calviño, également ancienne ministre de l'Économie du gouvernement socialiste de Pedro Sánchez en Espagne. Auparavant, les investissements dans des projets liés à la défense ne pouvaient pas dépasser 8 milliards par an mais cette limite a désormais été levée. 

"Nous contribuons à la résilience de l'Ukraine"

En ce qui concerne l’aide à l’Ukraine, la BEI a déjà versé plus de 2,2 milliards au pays depuis le début de la guerre en 2022. Elle lui promet un nouvel accord de prêt de 2 milliards d’euros dédiés à la restauration et au développement des infrastructures énergétiques.

"Nous investissons dans le métro, et en ce moment, le métro c’est l’école pour les enfants et la protection pour les citoyens quand il y a un bombardement", explique la présidente de la BEI.

"Nous contribuons à la résilience de l'Ukraine. Les entreprises ukrainiennes doivent continuer à fonctionner le plus normalement possible car sinon il n’y aura pas de base pour soutenir l'économie ukrainienne et pour la reconstruction après la guerre. Nous sommes le partenaire le plus important des investissements des secteurs public et privé en Ukraine", ajoute-t-elle avant de préciser : "Nous offrons des conditions de prêts très favorables, que ce soit dans les taux d'intérêt ou dans la durée, qui apportent aux marchés la garantie de l’Union européenne. Nous devons continuer à soutenir l'Ukraine parce que la sécurité de l'Ukraine, c'est la sécurité de l'Europe", rappelle Nadia Calviño. 

"Nous avons un intérêt partagé à continuer à construire des règles globales"

Au chapitre des droits de douane imposés par l’administration Trump sur certains produits européens, la présidente de la BEI regrette "un démantèlement d’un système international qui a vraiment bénéficié à l’Occident : "Nous avons bien fait d'essayer de soutenir ce système multilatéral et d'essayer de construire ou de maintenir une relation constructive avec les États-Unis parce que cette relation est vraiment stratégique pour nous." 

Alors que la banque centrale des États-Unis a annoncé que les droits de douane ont commencé à tirer les prix vers le haut, Nadia Calviño affirme que les Américains seront les premiers à souffrir de ces mesures : "Nous avons un intérêt partagé à continuer à construire des règles globales, une géopolitique et une géoéconomie qui donnent des résultats gagnant-gagnant pour tout le monde."

"Nous ne pouvons pas continuer à dépendre des fournisseurs d’énergies fossiles"

La France est le premier pays bénéficiaire des prêts de la Banque centrale européenne avec un montant s’élevant à 12,6 milliards l’an passé. "Nous avons une relation vraiment excellente avec les entreprises et les administrations françaises", confirme la présidente de l'institution. "Nous investissons dans des secteurs stratégiques comme la GigaFactory de batteries électriques Verkor ou bien dans l'enrichissement d'uranium", détaille Nadia Calviño. 

En effet, la BEI a également accordé un prêt de près de 400 millions d’euros à l’entreprise Orano pour l'extension de son usine d’enrichissement d’uranium du Tricastin. Une décision qui signe le retour de la BEI dans le financement d’activités en lien avec le nucléaire, en apparente contradiction avec ses objectifs de développement des énergies renouvelables. "Nous investissons dans toutes les technologies qui sont clés pour la transition verte de l'Europe et qui en plus renforcent la compétitivité de l'industrie européenne, que ce soit le nucléaire, les petits réacteurs modulaires, le renouvelable, le Smart Grid ou les infrastructures de transport et distribution de l'énergie", se défend sa présidente. 

L’année passée, la BEI a doublé ses investissements dans le secteur de l’énergie en Europe afin de renforcer l’autonomie énergétique de l’Union et ne plus dépendre du gaz russe. Sur les 89 milliards d’euros prêtés, 31 milliards ont été consacrés à la sécurité énergétique européenne : "Nous ne pouvons pas continuer à dépendre des fournisseurs d’énergies fossiles car elles sont très mauvaises pour l'environnement."

La question de l’efficacité énergétique touche aussi le secteur du logement. Au sein de l’UE, 19 millions de personnes parmi les 450 millions d’Européens vivent dans une situation de logement indigne. La BEI a pour projet de financer une plateforme de logement social à hauteur de 10 milliards d’euros sur deux ans.

"La BEI doit investir dans trois domaines : tout d’abord dans l'innovation technologique avec de nouveaux matériels et processus de construction. Deuxièmement, dans la rénovation de bâtiments existants et enfin dans la construction de nouveaux logements sociaux", explique Nadia Calviño.

"Il faut continuer à renforcer nos partenariats avec les pays africains"

La BEI consacre 10 % de ses investissements, soit 9 milliards d'euros à des projets à l'extérieur de l'UE : "Cela nous permet de renforcer les partenariats que nous avons avec le reste du monde. Si nous avons une relation amicale avec un pays, il est important pour la BEI d’investir dans des infrastructures qui sont clés pour ce pays."

Alors que les États-Unis ont décidé de mettre un terme à leur programme humanitaire mondial USAID, affectant tout particulièrement certains pays africains, la BEI réaffirme son soutien à ce continent : "L’Afrique est l'endroit où nos investissements sont les plus importants en dehors de l'Europe. Il faut continuer à renforcer nos partenariats économiques, politiques et sociaux avec les pays africains", estime la présidente de la BEI. "Nous investissons en Côte d'Ivoire, par exemple, pour développer des procédures pour la production de cacao qui n'entraînent pas de déforestation. Il s’agit d’avoir une économie beaucoup plus soutenable d'un point de vue environnemental", détaille-t-elle.

Sur le continent africain, la BEI investit dans des projets portés par des femmes, notamment en matière de santé. "Nous sommes particulièrement engagés dans le soutien aux femmes. Investir dans les femmes, c’est investir dans des communautés fortes et stables, qui contribuent à un monde plus stable et en paix", conclut Nadia Calviño.

 

Emission préparée par Oihana Almandoz, Perrine Desplats, Isabelle Romero et Luke Brown