François Bayrou nommé Premier ministre : le choix du compromis ?

Coutumier des prolongations, le chef de l'Élysée a finalement mis fin au suspense, vendredi 13 décembre. Emmanuel Macron a nommé au poste de Premier ministre un homme qui attendait de le devenir depuis sept ans : François Bayrou. Il succède à Michel Barnier et parvient à 73 ans à occuper le premier rôle du gouvernement aux côtés d'Emmanuel Macron, qu'il avait aidé à accéder à l'Elysée.

Cité par l’AFP, un membre de son entourage assurait pourtant cet automne : Premier ministre, "François est convaincu qu'il ferait le job. Mais il est aussi convaincu, depuis cet été, qu'il ne sera jamais nommé".

"J'ai toujours pensé que si un jour j'avais cette responsabilité, c'est que ça irait très mal. C'est à peu près les paroles de Clemenceau. Quand ils sont venus le chercher (en novembre 1917), il avait 76 ans et il a sauvé le pays", expliquait le centriste devant quelques journalistes en 2022.

Un centriste, tantôt à gauche tantôt à droite

Le rôle est à la mesure de ce triple candidat à la présidentielle (2002, 2007 et 2012), qui n'a jamais renoncé à ses ambitions nationales.

Celles-ci ont bourgeonné dès les années 1970 quand ce natif de Bordères (Pyrénées-Atlantiques), fils d'agriculteurs, marié et père de six enfants, a fait ses premières armes en politique. D'abord comme militant pour le compte de Valéry Giscard d'Estaing, avant d'intégrer le cabinet du ministre Pierre Méhaignerie en 1979.

Élu député des Pyrénées-Atlantiques en 1986, il devient ministre de l'Éducation nationale du gouvernement de cohabitation d'Édouard Balladur en 1993 et fut profondément marqué par François Mitterrand.

"Un bègue aussi éloquent, un centriste aussi ferme, un catholique aussi laïque, François Bayrou sera un jour un redoutable candidat à l'élection présidentielle", avait déclaré le président socialiste au journaliste Alain Duhamel (Libération, 2012).

Immobilisme? Gestion sans vague avec les syndicats? Son lointain successeur Jean-Michel Blanquer n'a pas de mots assez durs contre la "vanité du personnage" : "le verbe plutôt que l'acte, l'apparence plutôt que la réalité, les joies de Narcisse plutôt que les travaux d'Hercule".

"Le centre n'est ni de gauche, ni de gauche", avait également déclaré François Mitterrand. Maxime que François Bayrou s'acharne depuis à démentir en tentant de donner au centre son indépendance vis-à-vis de la droite.

Du Modem à Macron

Au plan partisan, cet agrégé de lettres classiques, auteur d'une biographie d'Henri IV - dont le 13 décembre est l'anniversaire de naissance -, devint en 1994 président du Centre des démocrates sociaux (CDS), composante de l'UDF de Giscard, dont il prend le contrôle en 1998.

Son refus d'intégrer l'UMP en 2002 lui valut de premières défections dans la famille centriste. Pendant sa première campagne présidentielle, il gifle un enfant qui tente de lui faire les poches et gagne en notoriété, mais récolte moins de 7 %.

Nouveau faux bond à la droite en 2007 avec son refus de soutenir Nicolas Sarkozy entre les deux tours, alors qu'il venait de réunir 18,57 % des voix au premier.

François Bayrou fonde alors le Mouvement démocrate (MoDem), qui débuta son existence par une longue traversée du désert, son soutien "personnel" à François Hollande face à Nicolas Sarkozy entre les deux tours de 2012 ne lui évitant pas la défaite aux législatives à Pau.

Après avoir vu en Emmanuel Macron un digne représentant des "puissances de l'argent", François Bayrou change son fusil d'épaule en 2017 et lui propose une alliance.

Le Premier ministre du "en même temps" ?

Pari réussi : voilà le chantre du "en même temps" gauche-droite installé, à 39 ans, à l'Elysée.

Nommé garde des Sceaux, François Bayrou quitte la Place Vendôme au bout de 34 jours, mis en cause dans l'affaire des assistants des députés européens MoDem. Si le parti a été lourdement condamné en février, son fondateur a été relaxé. Mais le parquet a fait appel. Une perspective insuffisante aux yeux d'Emmanuel Macron pour lui barrer la route de Matignon.

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Après la censure du gouvernement de Michel Barnier, l'objectif d’Emmanuel Macron est que le nouveau Premier ministre "ne soit pas renversé au bout de trois mois", résume Flore Simon chroniqueuse politique de France 24.

Fidèle à Emmanuel Macron depuis sept ans, il a aussi su garder vis-à-vis de lui une forme d'indépendance. Ce caméléon du paysage politique français n’est "urticant" ni pour la gauche, ni même pour l’extrême droite, analysait Flore Simon quelques minutes avant l'annonce de sa nomination.

François Bayrou s'était ainsi notamment opposé à la réforme des retraites, estimant qu’un projet de réforme amendé était possible. Il "rejoint encore la gauche sur l'idée de taxer les plus riches", ajoute Flore Simon.

Mais en février 2022, le centriste, à l'origine d'une initiative pour aider les candidats qui ont du mal à recueillir des parrainages nécessaires à la présidentielle, avait accordé son parrainage à Marine Le Pen au nom de la "démocratie"

"Il y a des liens de respect entre Marine Le Pen et François Bayrou" analyse sur France 24 Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire.

Quelles relations François entretient-il avec Marine Le Pen ?

"Un prolongement du macronisme" avec François Bayrou "ne pourrait mener qu'à l'impasse" a toutefois déclaré, vendredi matin, Marine Le Pen, en réaction à sa nomination.

"Toute autre politique qui ne serait que le prolongement du macronisme, rejeté par deux fois dans les urnes, ne pourrait mener qu'à l'impasse et à l'échec", a réagi sur X la présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, qui demande à François Bayrou "d'entreprendre ce que son prédécesseur - Michel Barnier - n'a pas voulu faire : entendre et écouter les oppositions pour construire un budget raisonnable et réfléchi".

Mais comment compte-t-il à présent réussir là où Michel Barnier a échoué ? Un gouvernement de large union, ouvert à plusieurs personnalités de gauche ? En mettant en place la proportionnelle à l'Assemblée, qu'il réclamait à Emmanuel Macron depuis des années ? Devant la perspective d'une crise de régime, "il faut prendre des risques. Vous ne pouvez pas rester dans l'ordinaire", expliquait-il récemment à l'AFP.

Avec AFP