Elie Saab, mille robes et une nuit à Riyad

Une explosion de joie est un pare-feu à la noirceur du monde contemporain. Elie Saab en est convaincu. « La beauté ne connaît pas de frontières. Dans ce que nous percevons et que nous créons, nous poursuivons une forme d’universalité. Lorsque la beauté et la créativité sont votre but ultime, le monde se transforme alors en un endroit merveilleux », s’enthousiasme le couturier libanais guidé depuis quarante-cinq ans par cette philosophie optimiste. Dans la chaleur douce de la nuit enlaçant Riyad, le créateur a démultiplié son message devant plus de mille personnes au cours d’un gala intitulé « Les 1001 saisons d’Elie Saab ». Parler seulement de « défilé » serait réducteur, tant l’événement a été conçu comme une fête mettant en lumière pas moins de 300 robes voluptueuses et scintillantes, sélectionnées par Elie Saab avec la styliste Carine Roitfeld pour témoigner des différentes périodes de la griffe. 

Au rythme des chorégraphies réglées au millimètre par Bianca Li, s’entrecroisent diverses générations de top-modèles, d’Helena Christensen à Candice Swanepoel, la Franco-Saoudienne Amira Al Zuhair, Eva Herzigova et Adriana Lima. Sur scène, l’énergique Jennifer Lopez ouvre le show en meneuse de revue, parée de plumes Art déco, et s’élève au-dessus de la troupe des trente danseurs vêtus de justaucorps pailletés. La jeune chanteuse Camila Cabello ne s’est pas montrée moins brillante en accompagnant un tableau floral faisant éclore des robes vaporeuses et aériennes explorant toutes les nuances du rose. Une ode naturaliste à la féminité qui déploie l’éventail de la séduction. Pour de nombreuses femmes du Moyen-Orient, le style d’Elie Saab est porteur de panache. « Ses robes me magnifient en tant que femme, me font me sentir puissante et reconnue, explique une de ses adeptes locales. Ici, quand nous disons Elie Saab, nous disons élégance. Lorsque je porte une de ses robes, je me regarde plus souvent encore dans le miroir et je me trouve encore plus belle. »

De leurs voix chaleureuses, les artistes Nancy Ajram et Amr Diab transcendent les rythmes orientaux pour magnifier l’expression culturelle arabe. Instant de grâce, Céline Dion enflamme l’assistance. Sa présence inespérée avait fait l’objet de rumeurs dans tout Riyad. Celle dont c’est la première visite en Arabie saoudite, ne boude pas son plaisir d’être là pour la célébration de son ami. « Sa générosité et son talent ont chanté avec moi, car je porte ses robes, son talent, depuis des années et des années », affirme la star québécoise. Drapée d’or et parée de diamants par Bulgari, elle conclut le spectacle sur I’m Alive, rappelant au passage qu’elle est toujours bien présente. 

Camila Cabello, Céline Dion, Elie Saab, Jennifer Lopez et Halle Berry, lors du défilé. Elie Saab

Une démonstration de force en douceur

Le créateur paraît très ému sur le long podium. Tout a été vu en grand. Même aux yeux un peu blasés des habitués des Fashion Week, les fauteuils de velours bleu moelleux relèguent au rang de bancs d’église les « front row » spartiates des habituelles chapelles de la mode. Personnalités de la haute société saoudienne y voisinent avec un mélange de prestigieux invités internationaux comme l’actrice américaine Kelly Rutherford et la Britannique Rosie Huntington-Whiteley. Les James Bond girls Monica Bellucci et Halle Berry attirent les regards. D’ailleurs cette dernière porte ce soir-là la robe Elie Saab dont elle était vêtue pour recevoir l’Oscar de la meilleure actrice en 2002. Son style n’a pas pris un pli. Une à une, les 300 silhouettes tirées des archives et de la nouvelle collection reprennent le fil du récit légendaire des Mille et Une Nuits. L’allure de la femme s’y révèle autant que son corps. Certains messages doivent rester subliminaux. 

En coulisses, certains observateurs notent que ce qui a pu être montré à Riyad aurait probablement choqué les puritains si le défilé avait eu lieu aux États-Unis. Mais Elie Saab jouit d’un statut très particulier en Arabie saoudite. « Mon parcours a pris naissance dans les tourments de la guerre à Beyrouth, où j’ai construit un univers de beauté, en étant reconnaissant pour toutes les opportunités qui m’ont été offertes. Premier endroit en dehors du Liban où j’ai pu m’installer, m’exprimer, réussir et ouvrir de nouveaux horizons et des rêves plus grands, l’Arabie saoudite a toujours tenu une place très particulière dans mon cœur », souligne le Libanais, plein de gratitude envers ses hôtes. Manifeste pour une vision flamboyante d’une féminité exacerbée, la soirée est aussi une démonstration de force en douceur. 

Le choix du lieu n’a rien d’anodin. Nouveau centre de la vie culturelle de Riyad, The Venue est l’une des structures transformables les plus modernes au monde. Un projet qui s’insère dans le programme de développement pluriannuel, intitulé « Vision 2030 », promu par le roi Salman Ben Abdelaziz al-Saoud et le prince héritier Mohammed Ben Salman. En ouvrant ses portes à Elie Saab, notamment grâce au président du General Entertainment Authority, Turki al-Sheikh, l’Arabie saoudite entend démontrer son statut d’épicentre créatif du monde arabe. En prime, c’est une bonne occasion pour le royaume de faire passer des messages d’ouverture et d’équilibre dans cette période trouble. Y voir un message politique serait certes exagéré. La préparation d’un tel projet a nécessité trois mois de production et a débuté il y a plus d’un an. Même s’ils étaient redoutés, les événements actuels au Liban, qui poussent les ateliers de la marque à se replier temporairement dans un lieu plus sûr, n’ont pas interféré dans les préparatifs. 

Eva Herzigova sur le podium. Indigital.tv / Getty Images for Elie Saab

Néanmoins, à l’issue du défilé, de nombreuses personnalités saoudiennes ne cachent pas en aparté leur satisfaction de voir leur pays envoyer un tel signal dans la région, mais aussi à plus grande échelle. « Nous avons beaucoup travaillé pour concevoir cet événement de haute couture d’ampleur internationale au cœur de Riyad. Et je crois que ce soir c’est un événement très spécial, unique, non seulement pour Riyad, mais aussi pour le monde entier et pour l’industrie de la mode », confirme Elie Saab Jr, le fils du couturier et PDG de la marque, y voyant une page ouverte vers de nouveaux chapitres de l’histoire de la griffe, dont le rayonnement s’accroît bien au-delà du Moyen-Orient et de Hollywood. « Mon message transcende les frontières, ce sont des manifestations vivantes de joie, dans tous les domaines que nous avons explorés depuis mes débuts, au-delà de ce que nous avions pu imaginer ou rêver. La beauté est sans limite, notre monde arabe bouillonne de talents dont la créativité est irradiante », reprend le créateur qui a dédié sa vie à imaginer des robes pour briller jusqu’au petit jour. S’il devait ne rester qu’une nuit, ce serait celle-là.

Défilé Elie Saab à Riyad Indigital.tv / Getty Images for Elie Saab
Candice Swanepoel défile pour Elie Saab. Indigital.tv / Getty Images for Elie Saabc