Concurrence, censure, «style nouveau»... L’iconique collection de polars «Série noire» de Gallimard fête ses 80 ans

Pour ses 80 printemps, la dame en robe noir, jaune et blanc est à l’honneur. À Lyon, à Quais du polar, avec ses stars, Caryl Férey, Deon Meyer, Marin Ledun… Mais aussi à Paris, où la maison mère, Gallimard, lui a ouvert sa galerie au 30, rue de l’Université, et ce jusqu’au 17 mai pour une exposition, «La Série noire au cinéma ». À peine la porte franchie, le rêve commence. Partout, des affiches des grandes adaptations : Série noire, de Corneau, d’après Jim Thompson, avec Perec au scénario ; Eva, de Losey, d’après James Hadley Chase ; Les Tontons flingueurs, de Lautner, d’après Albert Simonin ; Made in USA, de Godard, d’après Richard Stark ; Tirez sur le pianiste, de Truffaut, d’après Goodis ; Nada, de Chabrol, d’après Manchette… Dans cet espace réduit, on dévore des yeux les couvertures des romans, depuis les tout premiers, à l’été 1945, jusqu’aux rééditions récentes sous le label « Classique » (Giovanni, McCoy, Goodis, Amila…).

On s’attarde sur des documents passionnants comme cette fiche de lecture de Raymond Queneau écrite en 1944 sur The Big Sleep de Chandler. L’auteur de Zazie n’est pas totalement convaincu : « Ne brille pas par l’ingéniosité de l’intrigue ni la profondeur du mystère. » Commentaire de Marcel Duhamel (qui n’a pas encore lancé la « Série noire ») : « Style nouveau. » Commentaire de Gaston Gallimard à son fils Michel : « Collection romans policiers ? » Le classique de Chandler paraîtra finalement en 1948 sous le titre Le Grand Sommeil et portera le numéro 13. Précision : les premiers volumes n’étaient pas numérotés. Gallimard ignorait le sort que le public de l’après-guerre réserverait à ses livres !

La nostalgie affleure

Ailleurs, on découvre les dessins que crayonnait Giacometti sur ses « Série noire ». Aucun respect ! Plus loin, sur un morceau de nappe en papier, on lit : « Le livre d’or de la Série noire » et les noms des amateurs de la collection : Kessel, Mauriac, Sartre, Mac Orlan, Giono, Prévert, Picasso, Cocteau, Vian… Homme-clé des Éditions Gallimard, Alban Cerisier, passionné, évoque les enjeux de l’époque. La concurrence avec Hachette, l’ancien partenaire. La méfiance de la censure et l’introduction de couvertures avec des petites pépées.

La volonté de Gallimard de publier Ian Fleming, le père de James Bond : ce sera fait en 1957 pour deux titres, Moonraker (VO, 1956) et Chauds les glaçons !, dont sera tiré Les diamants sont éternels (1956). Il montre la couverture promotionnelle du roman Razzia sur la chnouf avec l’affiche du film de Decoin qui remettra Gabin en selle. La nostalgie affleure. Les décennies défilent : Crumley, Cook, Dantec, Izzo, Bialot, Syreigeol, Pouy, Villard… Chacun à son panthéon noir. « Happy birth day », « Série noire » ! Mais, de grâce, pas de bourre-pif.


«Quais du polar», du 4 au 6 avril, à Lyon. extralagence.com