Guerre au Proche-Orient : le Hezbollah prend ses distances avec l’Iran

Depuis le 13 juin dernier, l’Iran semble bien isolé face aux missiles israéliens : ses alliés libanais, yéménites et irakiens au sein de l’« axe de la résistance » à Israël - ne semblent pas en mesure de lui prêter main-forte. Au Yémen, les Houthis sont restés mesurés. Le Hezbollah, lui, s’est contenté d’un communiqué de condoléances à l’adresse de son allié iranien, dénonçant une « agression injustifiée » sans en tirer la moindre conséquence militaire.

Le parti chiite libanais, qui a ouvert, dès le lendemain du 7 octobre 2023, un front de soutien au Hamas, entraînant une guerre avec Israël à la fin de l’année 2024 ayant fait 4000 morts côté libanais, en est ressorti décapité de l’essentiel de sa hiérarchie.

Alors, lorsque le 13 juin dernier, l’Iran envoya des salves de missiles balistiques sur plusieurs villes israéliennes en réponse à un assaut aérien d’envergure contre plusieurs sites iraniens, éliminant vingt hauts cadres des Gardiens de la Révolution selon les services de renseignement occidentaux,

Calcul ou fatigue ?

Cette réserve n’est pas une surprise. Depuis le cessez-le-feu de l’automne 2024, le Hezbollah, largement affaibli, semble s’être replié dans une posture essentiellement défensive. Cette retenue empêche pour l’heure un embrasement total du front sud. Détruit en partie dans ses infrastructures militaires au Liban-Sud, amputé de ses routes logistiques syriennes par la chute du régime d’Assad et la pression israélienne, le mouvement d’Hassan Nasrallah s’emploie à préserver ce qui peut encore l’être. Plusieurs sources au sein du parti, interrogées par Reuters, reconnaissent que toute riposte risquerait de précipiter le pays dans une guerre totale à laquelle il n’est ni prêt ni disposé. Le président Joseph Aoun a rappelé que « le Liban n’est pas partie [intégrante] à ce conflit » [entre Israël et l’Iran] et ne « permettra pas que son territoire devienne un champ de bataille ». L’armée libanaise, déployée sous mandat onusien (FINUL), n’a que peu de marge de manœuvre pour contenir toute velléité plus massive du parti chiite.

Dans ses bastions du Sud-Liban, les pertes humaines de la dernière guerre ont laissé des traces profondes. Le soutien communautaire, s’il demeure réel, est aujourd’hui plus prudent.

Ligne rouge

Rien, pourtant, ne laisse penser que le Hezbollah renonce à ses fondamentaux. Son arsenal – certes amoindri – pourrait rester une force de dissuasion redoutée. Ses missiles de moyenne portée, ses drones kamikazes et son maillage de bunkers dans le Sud-Liban assurent encore à Israël un coût prohibitif en cas d’offensive terrestre, selon plusieurs analystes. Mais cette dissuasion, jadis offensive, semble s’être muée en ligne rouge : tant qu’Israël n’attaque pas les quartiers chiites de Beyrouth ou n’élimine pas un cadre du Hezbollah au Liban, le parti ne riposte pas. C’est le principe du « seuil de tolérance » : ne pas répliquer aux frappes israéliennes sur ses positions militaires périphériques, pourvu que l’équilibre ne soit pas rompu.

Cette ligne a été, jusqu’ici, respectée. Les frappes israéliennes du 8 mai dernier sur des dépôts d’armes à Bint Jbeil et Yater n’ont pas entraîné de riposte. Pas plus que celles du 11 juin sur une position d’observation près de Khiam. En parallèle, selon des analystes, le Hezbollah veille à ne pas apparaître comme un simple supplétif de l’Iran : en s’abstenant de répondre aux attaques israéliennes sur le sol iranien, le parti préserve son autonomie tactique, et son enracinement local.

Une équation libanaise impossible

La retenue du Hezbollah s’inscrit aussi dans une réalité libanaise accablante. Le pays sort de deux ans de vacance présidentielle, son économie est exsangue, la livre nationale au plus bas, et le chômage endémique. Le président, Joseph Aoun, appelle à « recentrer l’État sur ses prérogatives régaliennes »... Autrement dit, à reprendre la main sur la question militaire – ce qui implique, à terme, le désarmement du Hezbollah. Un scénario impensable sans consensus national.

Quant à la société civile, aucun mouvement n’appelle au conflit n’a émergé : les Libanais privilégient pour l’essentiel les appels au calme. Seuls quelques échos véhiculés dans les médias évoquent des manifestants pro-Iran ou pro-Palestiniens, mais rien qui ne fasse basculer l’équilibre.

Dans ce contexte, une guerre ouverte ruinerait les minces espoirs de redressement. C’est ce que redoutent également les chancelleries occidentales. La France appelle à un strict respect de la résolution 1701 de l’ONU, tandis que les États-Unis, tout en soutenant Israël, s’activent pour contenir le conflit à sa dimension bilatérale avec l’Iran. Car une flambée à la frontière sud du Liban engendrerait un cortège de destructions, d’exode et de fractures politiques internes.