Porter du vert est-il de gauche?

Il ne vous aura pas échappé que Marine Tondelier, la secrétaire nationale du parti Les Écologistes, devenue une star médiatique depuis les dernières élections législatives, porte, dès qu'elle le peut, une veste verte. Une veste qui a même son compte personnel sur X, @VesteTondelier, suivi par quelque 10 000 personnes tout de même. «J'ai été un peu vexée parce qu'à un moment, les gens ont fini par parler davantage d'elle que de ce que je racontais, témoigne sa propriétaire sur le réseau social. Sachez d'abord que j'ai toujours porté des vestes vertes.» On y apprend aussi que la figure montante de la gauche avait l'habitude d'arborer un blazer «acheté sur Vinted, donc de seconde main», mais qu'à la veille de la première photo de classe du Nouveau Front Populaire, le 10 juin 2024, elle le juge bien trop élimé. «Je suis jeune, je suis une femme, donc je me sens toujours illégitime, poursuit-elle. Alors je me suis dit : 'Faut pas que je dégueulasse la photo avec ma veste qui va pas du tout!'» Elle envoie donc un ami en acheter une nouvelle. Vert prairie cette fois, neuve et griffée The Kooples, ayant obtenu la piètre note de «22/100 sur Clear Fashion, une appli qui enquête, de manière indépendante, sur l'impact écologique et social des enseignes», apprend-t-on dans Le Monde qui qualifie ledit vêtement d'«objet politique». 

Marine Tondelier portant une autre de ses vestes vertes, lors de l'université d'été des Écologistes Frederic Petry / Frederic Petry / Hans Lucas via

D'ailleurs, lorsque le 25 juillet dernier Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France, encartée chez Les Républicains, endosse une veste d'un vert très semblable, c'en est trop pour le compte parodique @VesteTondelierqui crie à «l'affront» et publie un communiqué pour «condamner son usage par Valérie Pécresse» et «l'inviter à porter des vestes de couleurs plus en adéquation avec ses idées politiques». Dans les tons de bleu, suppose-t-on. Pourtant, si le très sérieux New York Times affirme le 26 juillet dernier «Quand nous regarderons en arrière sur l'été 2024, que verrons-nous ? Du vert», ce n'est pas à cause de Madame Tondelier mais de la démocrate en course pour la présidentielle américaine, suite au post sur l'ancien Twitter, de la chanteuse Charli XCX (prononcer Charli Exiex) réagissant à l'officialisation de sa candidature: «Kamala is brat». Sachant que brat signifie «sale gosse», on est en droit de s'interroger. Il faut revenir à la sortie du dernier album de la Britannique, devenu au début de l'été un phénomène viral en raison de sa pochette, un simple fond vert acide affichant en majesté «brat» en lettres bâton noires pixélisées. Contacté par le journal new-yorkais, son concepteur, Brent David Freaney y raconte sa genèse: «Nous avons examiné environ 500 nuances de vert différentes. La consigne de Charli était la suivante : 'je ne veux pas que cela ait l'air d'avoir un goût particulier mais que cela paraisse rebutant et un peu criard'. (...) Je crois que cette vague de vert est due au fait qu'il est assez festif et qu'il donne une impression de liberté. Ce n'est pas du Pink millénium. L'énergie qui se cache derrière est vivante.» Has been, le rose «Barbie»? La jeunesse qui a porté le fuchsia ad nauseam suite à la sortie du blockbuster hollywoodien en juillet 2023, a retourné sa veste. 

La chanteuse Charli XCX lors du lancement de son dernier album Brat Instagram/Charli XCX

« Peu à peu, le vert a fini par représenter tout ce qui est symboliquement inconstant: la jeunesse, l'amour, la chance,... » 

Michel Pastoureau, historien

Bref, quelques heures après le post «Kamala is brat», le bandeau du compte officiel de la campagne de Kamala Harris passe au vert sur X alors que la phrase devenue un mème (c'est-à-dire repris, décliné, détourné à l'infini sur internet) s'affiche sur tous les produits dérivés du camp démocrate. Opportuniste mais efficace selon les observateurs de la campagne outre-Atlantique auprès des jeunes électeurs. Est-ce que Naomi Osaka, 26 ans, a voulu lui montrer son soutien sur les courts de l'US Open en portant ce 27 août pour son premier match, une jupette à volants et un haut à nœud (créés par Yoon Ahn de la marque Ambush en collaboration avec Nike)? Interrogée sur ce choix vestimentaire, l'ancienne numéro 1 mondiale a simplement répondu: «J'aime beaucoup cette couleur. J'ai l'impression qu'elle m'apporte paix et sérénité. Je pense sincèrement que les couleurs peuvent vous donner de la puissance.» Visiblement, ça marche. À l'heure où nous écrivons ces lignes, l'Américaine qui peine ces derniers temps à retrouver son niveau, est toujours en lice... 

Naomi Osaka sur les courts de l'US Open le 27 août 2024 TIMOTHY A. CLARY / AFP

« Moi j'adore le vert, j'en porte depuis des années et je peux vous certifier que je ne suis pas de gauche! » 

Une personnalité de la mode anonyme

De là à dire que le vert est une couleur progressiste, féministe voire woke, il n'y a qu'un pas. Mais ces vingtenaires et autres militants NFP savent-ils seulement qu'il n'a pas toujours été un parangon de vertu? Dans la peinture de la Renaissance, elle est systématiquement associée à la luxure et à la transgression - en témoigne Judas représenté roux et vêtu de vert, tout comme les sorcières. «Chez les teinturiers comme chez les peintres, c'est une couleur non pas difficile à fabriquer mais difficile à fixer, décryptait récemment l'incontournable historien de la couleur, Michel Pastoureau. Elle est instable chimiquement - ce qui explique aussi la variété de ses nuances. Peu à peu, elle a fini par représenter tout ce qui est symboliquement inconstant: la jeunesse, l'amour, la chance,... Et donc in fine tout ce qui est inquiétant, peu fiable et plus ou moins dangereux.» Au théâtre, on dit que le vert porte malheur. «On me ressort souvent cette anecdote, s'amuse Bastien Forestier, décorateur de théâtre parisien. Il faut dire qu'autrefois, l'arsenic et le vert-de-gris qui servaient de pigments verts de teinture empoisonnaient les comédiens. Mais de nos jours, les acteurs et metteurs en scène sont beaucoup moins superstitieux.» 

Le défilé Miu Miu de l'hiver 2024-2025 Miu Miu

Sur les podiums aussi, la mode voit la vie en vert, de la très branchée Miu Miu (utilisant une nuance très «brat» d'ailleurs) à la très chic Saint Laurent (un kaki plus bourgeois) à Gucci, Jil Sander, Chanel et Lacoste, qui lui ont fait une place de choix dans leurs collections de l'automne-hiver 2024-2025. En un mot, «le vert est la couleur de la saison, lance sans détour Alix Morabito, directrice des achats et des projets spéciaux des Galeries Lafayette. Enfin, je dirais plutôt la tonalité de la saison tant il se décline dans toutes les nuances de sa palette: du vert forêt à la chartreuse acide, en passant par l'anis, l'amande, le vert anglais et même le caca d'oie. Après la tendance du Y2K (inspirées des années 2000) avec ses brillances et ses teintes saturées, puis du 'quiet luxury' et son omniprésence un peu insipide de beige et de tons neutres, tous ces verts sont une manière de tirer le fil du vestiaire BCBG d'une façon plus créative et osée.» Quant à la fameuse question de l'orientation politique de celui qui en est vêtu? On a interrogé une personnalité de la mode qui assume depuis longtemps ladite couleur (mais voulant rester anonyme): «Moi j'adore le vert, j'en porte depuis des années et je peux vous certifier que je ne suis pas de gauche!»