Sylvie Le Bihan : « Albert Camus et Louis Guilloux s’admiraient »

Le FIGARO. - On connaît Camus, un peu moins Louis Guilloux , écrivain phare de la première moitié du XXe siècle. Vous pouvez nous en dire plus ?

Sylvie le Bihan. - De Guilloux, je peux dire que c’est un peu l’écrivain de la famille, puisque c’était un ami de mon père, qui a 96 ans et qui l’a connu durant l’Occupation alors qu’il avait 11 ans. De fait, j’ai été élevée avec Guilloux et son œuvre, dont l’emblématique Sang noir, et je l’ai croisé plusieurs fois. Il était une figure du milieu du XXe siècle. Il a écrit d’autres titres qui ont été remarqués : OK, Joe !, La Maison du peuple, Coco perdu ou Le Jeu de patience. Il a eu le Renaudot, un grand prix de littérature décerné par l’Académie française, il a frôlé le prix Goncourt. Il est également l’ami d’André Malraux et de Jean Grenier, l’ancien professeur de philosophie de Camus à Alger.

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Qu’avaient-ils en partage ?

D’abord leur enfance respective : à savoir la pauvreté, mais aussi l’amour. La maman de Camus a aimé et chéri son petit Albert. Et Louis a été soutenu par son papa, qui était cordonnier, par sa maman et par ses sœurs. Ils ont eu une enfance pauvre mais heureuse, qui les a façonnés. Ensuite, je pense que c’est la sincérité de leurs engagements, l’attachement à leurs racines pendant toute leur carrière d’écrivain et d’homme qui les a beaucoup rapprochés. Ils n’avaient pas envie d’être dans le bal des hypocrites. Et, bien sûr, la fraternité, cette amitié solaire qui les a unis dès leur première rencontre. Et, ne l’oublions pas, c’est Guilloux qui montre la tombe du père d’Albert Camus, enterré à Saint-Brieuc, mort des suites d’éclats d’obus en 1914. Les deux hommes s’admiraient.

On ne peut pas passer à côté de ce point essentiel qu’est l’écriture…

Comme beaucoup d’écrivains de l’époque, c’était vital pour eux. Ce sont deux « empêchés » : Camus était atteint par la tuberculose, et Guilloux avait une main abîmée. C’étaient deux personnes qui se sont battues pour arriver où ils en sont arrivés. Surtout Camus, dont la mère était analphabète. Ils ont tous deux réalisé un énorme travail. Et c’est vrai que l’écriture était devenue leur moyen d’expression et d’engagement. Leur amitié était aussi bien intime que professionnelle. On le voit bien à travers leurs échanges, leurs correspondances. Ils s’entraidaient, s’échangeaient leurs manuscrits, se donnaient des conseils…