Jalil Lespert : « Je voulais filmer des moments intimes comme la solitude au petit déjeuner »
Entre sa série Chambre 2806 sur Netflix et l’écriture d’un biopic sur Johnny Hallyday, Jalil Lespert est parti dans l’immensité du désert saoudien sur le Paris-Dakar. Il y a tourné Dakar Chronicles, un documentaire de 86 minutes plein d’humanité sur ces athlètes qui se dépassent sur la course la plus dangereuse au monde.
Nul besoin d’être un initié des courses automobiles. Dans ces montagnes russes si dangereuses que sont les dunes, on s’attache vite aux principaux personnages dont le champion français de rallye Sébastien Loeb et l’étoile montante, le jeune californien Mason Klein à moto. Départ aux aurores, straps dans le dos, accidents parfois très graves, pluies torrentielles, repas pâtes-riz-quinoa avec les proches au bivouac, vrombissements des hélicoptères, bédouins filmant en haut des dunes avec leurs téléphones portables, conversation entre les coureurs aguerris et les plus jeunes surnommés les rookies… On les suit au plus près sur 10 000 kilomètres.
Mason Klein raconte par exemple à ses coéquipiers comment il fabriquait ses propres roadbooks avec une boîte en carton, des crayons et des élastiques. La débrouille est partout : il faut gonfler son matelas pour la nuit sous les étoiles, se laver avec des lingettes, réparer le tuyau qui aide à s’hydrater tout en conduisant. Les images du bivouac sous les étoiles avec le feu qui crépite font penser à un village de Star Wars. Le désert avec ses dunes dorées et ses canyons rocailleux est le plus souvent magnifique. Ces grands espaces si cinématographiques contrastent avec l’inconfort des coureurs aux visages burinés, aux corps de plus en plus égratignés et brisés.
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Les médecins et l’hélicoptère pour un rapatriement d’urgence ne sont jamais bien loin. Au volant des bolides, les conducteurs admettent que leurs têtes secouent dans tous les sens. Toute la journée. Pendant quinze jours. Ils détestent le sable et les dunes. On les comprend. Dans ce monde à part, les motos et les bolides tantôt ressemblent à des insectes tantôt semblent jaillir d’un film de Mad Max. Ce film d’aventures réussi est à voir sur grand écran au cinéma en se laissant bercer par la BO électro à la fois mélancolique et énergisante de M83. Il sort dans 80 salles et Jalil Lespert échangera avec les spectateurs, le jeudi 26 juin au Pathé Alésia à Paris après la séance de 20 h 15.
LE FIGARO. - Après le biopic sur Yves Saint Laurent avec Pierre Niney, la série Versailles , comment vous êtes-vous retrouvé au fin fond du désert saoudien sur le Paris-Dakar ?
JALIL LESPERT. - Tourner l’affaire DSK a été ma première expérience de documentaire. Pour un cinéaste, ce format est rafraîchissant. DSK était un sujet sombre. Post-covid, j’ai eu envie d’un sujet qui me fasse du bien. Je voulais filmer des gens qui se dépassent. J’ai pensé au sport. Je connais bien. J’ai fait dix ans de taekwondo à haut niveau (1er Dan, équivalent de ceinture noire) avant d’arrêter à cause d’une blessure au genou. L’accès à la F1 et au foot était trop compliqué. Dans ces sports stars, les athlètes sont trop habitués à la presse et ils sont moins spontanés à cause des sponsors. J’ai pensé au Paris-Dakar avec lequel j’ai grandi dans les années 1980. J’avais perdu de vue cette compétition française qui accueille des participants du monde entier. Je me suis demandé ce qu’elle était devenue.
Quel type de film vouliez-vous faire ?
Je ne me suis pas mis dans les traces de France Télévision. Je ne voulais pas d’un reportage sportif mais d’un film beaucoup plus personnel. Je n’y connais rien en voiture, en moto. C’est l’aspect humain qui m’a attiré. J’ai voulu montrer à quoi ressemble pour ces barjots de sportifs, ces deux semaines de course dans ce désert sans fin. Il n’y a pas d’interviews, on plonge de suite dans l’aventure. La caméra suit cinq, six personnages principaux qui se construisent au fil de la course. Je voulais filmer des moments intimes comme la solitude au petit déjeuner à 4 heures du matin ou ces appels à une fiancée restée à la maison à des milliers de kilomètres. Le Dakar, ce sont aussi 3 000 à 4 000 personnes, des mécaniciens, des organisateurs, des médecins venus du monde entier. Tous font preuve de valeurs intemporelles comme le dépassement de soi, l’endurance, la détermination, l’empathie, la fraternité, l’humour…
Vous aviez un peu tourné dans le désert pour Yves Saint Laurent mais là sur 10 000 kilomètres de hors-piste, cela a dû être un vrai challenge ?
Le Dakar, ce n’est pas la F1 où vous filmez un circuit. L’Arabie saoudite est un royaume immense. Les distances entre chaque étape sont si longues que même les hélicoptères ne peuvent pas suivre toute la journée. À un moment donné, ils doivent retourner faire le plein. C’était si compliqué à filmer que je suis d’abord parti en repérage sur l’édition 2022-2023. J’ai découvert Riad, la course avec ses bivouacs qui ressemblent à une mini-ville éphémère. J’ai fait 500 kilomètres par jour sur des routes balisées en m’arrêtant pour dormir dans des villages perdus en plein désert. C’était très roots. Le village type, c’est une rue principale, une station-service et une mosquée. J’ai rencontré une population assez pauvre qui vit très simplement et qui n’a pas tellement l’habitude de voir des Occidentaux. Après ce repérage, je suis revenu un an plus tard et j’ai filmé pour de bon le 1er janvier 2024. J’avais six cameramen positionnés à des endroits clés dans le désert. Eux campaient dans des conditions extrêmes. Tous les jours, un hélico partait récupérer leurs rushs. Pour ma part, j’étais dans le bivouac à filmer les départs, les arrivées, les moments intimes des retrouvailles avec les proches, les repas, le sommeil. Mon petit frère Yaniss (acteur, il joue Christophe Lepic dans la série Fais pas ci, fais pas ça, NDLR) a été mon assistant réalisateur.
Comment M83 s’est-il retrouvé à composer la bande originale ?
J’avais déjà fait appel à Anthony Gonzalez pour le générique de la série Versailles. J’ai monté ce film à Los Angeles. Il est venu voir les images là-bas. Elles correspondaient à son univers.
Yves Saint Laurent, le Paris-Dakar, DSK, Johnny… Vous avez 49 ans mais des goûts à l’ancienne ?
Tout à fait, dans la mode, la politique, en musique et en sport (rires).