Corée du Sud : quatre questions sur la tentative du président d'instaurer la loi martiale

Une première depuis la fin de la dictature militaire en 1980. Le président de la Corée du Sud, Yoon Suk-yeol, a proclamé, mardi 3 décembre, la loi martiale dans son pays, interdisant toute activité politique et plaçant la presse sous le contrôle de l'armée. Moins de trois heures après son annonce, la majorité des députés a voté contre cette mesure et le scrutin a été validé par le président du Parlement, renversant théoriquement la décision prise par Yoon Suk-yeol.

Que s'est-il passé ? Pourquoi le président a-t-il proclamé la loi martiale ? Comment a réagi la population ? Franceinfo répond à quatre questions sur cet épisode inédit.

1 Pourquoi la loi martiale a-t-elle été proclamée ?

Dans une allocution télévisée surprise, le président sud-coréen a proclamé la loi martiale, et déclaré prendre cette décision "pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l'Etat", en référence aux élus de l'opposition. Le parti du président, Pouvoir au peuple, est actuellement engagé dans un bras de fer avec ses opposants du Parti démocrate sur le projet de budget de l'année prochaine.

La semaine dernière, les députés de l'opposition ont approuvé un programme budgétaire considérablement réduit. Yoon Suk-yeol a accusé le Parti démocrate de couper "tous les budgets essentiels aux fonctions premières de la nation, (...) transformant le pays en un paradis de la drogue et en un lieu de chaos pour la sécurité publique". Selon lui, l'Assemblée nationale sud-coréenne serait "devenue un refuge de criminels, un repaire de dictature législative qui cherche à paralyser les systèmes administratif et judiciaire et à renverser notre ordre démocratique libéral".

2 Comment ont répliqué les députés ?

Le Parti démocrate a demandé à tous ses membres de se rassembler pour une réunion d'urgence, après l'annonce du président Yoon Suk-yeol. Cette formation, qui a remporté les dernières législatives au printemps, compte 170 des 300 sièges à l'Assemblée nationale, l'unique chambre du Parlement. Les 190 députés sud-coréens présents ont adopté un texte pour bloquer la loi martiale, y compris 18 élus du parti présidentiel.

Un scrutin validé par le président du Parlement, rendant caduque cette très brève législation. Selon la Constitution, "le président doit immédiatement informer de la déclaration de la loi martiale à l'Assemblée nationale et si l'Assemblée nationale demande son annulation avec la majorité des voix des élus, le président doit la lever", rappelle l'agence de presse Yohnap. L'armée a cependant prévenu qu'elle ferait appliquer la loi martiale jusqu'à ce qu'elle soit levée par le président.

Avant le vote, le chef du Parti démocrate, Lee Jae-myung, a appelé la population à se rassembler devant le Parlement en signe de protestation. "L'imposition illégale de la loi martiale par le président Yoon Suk-yeol est invalide", a déclaré celui qui avait perdu de justesse face au président élu lors des élections de 2022. "Venez à l'Assemblée nationale maintenant. Je m'y rends également", a-t-il ajouté.

3Comment a réagi la population ? 

Des centaines de personnes ont afflué mercredi matin devant le Parlement pour protester contre la loi martiale et les restrictions qu'elle impliquait, selon des images diffusées en direct à la télévision. Le décret interdisait toute manifestation, activité politique, grève, et ordonnait le placement de tous les médias sous contrôle militaire, d'après la traduction du texte publiée par Yohnap.

Des militaires tentent d'entrer dans l'Assemblée nationale à Séoul (Corée du Sud), dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024. (JUNG YEON-JE / AFP)

"Ouvrez la porte, s'il vous plaît. Votre travail est de protéger l'Assemblée nationale. Pourquoi restez-vous les bras croisés pendant que des députés sont piétinés ?", a crié un homme à un groupe de policiers gardant les portes de l'établissement, placé sous scellés. Un député a déclaré à la BBC qu'il avait dû escalader une clôture pour entrer dans l'Assemblée car la police l'avait bloqué, même avec une pièce d'identité attestant de son mandat.

Selon le journal coréen Chosun Ilbo, les citoyens qui attendaient devant le bâtiment ont applaudi à l'annonce du vote des députés. Les slogans "Longue vie à la République de Corée !" et "Yoon Suk-yeol, démissionne !" ont retenti.

Des membres des forces spéciales sud-coréennes ont essayé d'entrer dans le Parlement, d'après les images diffusées. Après avoir invalidé la loi martiale, le président de l'Assemblée nationale a annoncé que l'armée présente dans le bâtiment se retirait. Cette dernière a néanmoins déclaré qu'elle "ferait respecter la loi martiale jusqu'à sa levée par le président".

4 Qu'en dit la communauté internationale ?

Les Etats-Unis ont partagé leur "inquiétude" au sujet de la situation en Corée du Sud, et dit espérer une issue qui respecte "l'Etat de droit", après la proclamation de la loi martiale. "Nous surveillons de près les développements en Corée du Sud", a assuré de son côté un porte-parole du Premier ministre britannique Keir Starmer, tandis que le ministère des Affaires étrangères a appelé les ressortissants du Royaume-Uni à "suivre les conseils des autorités locales et à éviter les manifestations politiques".

L'ambassade de Chine en Corée du Sud a appelé ses citoyens présents dans le pays à la "prudence". Elle leur conseille "de rester calmes, de renforcer leur vigilance en matière de sécurité, de limiter les sorties inutiles et de faire preuve de prudence lorsqu'ils expriment des opinions politiques"

Un peu plus tard, un porte-parole de l'ONU a déclaré que les Nations unies suivaient "avec inquiétude" la situation en Corée du Sud.