Rupert Everett : « Hollywood est un boys club hétérosexuel »

Pour le grand public, Rupert Everett est le complice perspicace de Julia Roberts dans la comédie romantique de 1997 Le Mariage de mon meilleur ami. Révélé par le film d’époque Another Country en 1984, le comédien anglais a promené sa silhouette de dandy élégant dans Shakespeare In Love, La Folie du roi George, la saga St Trinian, la franchise d’animation Shrek. Avant de bifurquer sur les planches, le petit écran et les rayonnages des librairies. Depuis mercredi, ce francophile, complètement bilingue qui répond en français à nos questions, est à Dinard, où il préside le jury du film britannique et irlandais. Le Figaro l’a rencontré quelques heures avant qu’une urgence familiale ne le rappelle, jeudi soir, à Londres. L’acteur a transmis ses responsabilités à la journaliste Claire Chazal.

LE FIGARO – Pourquoi avoir accepté ce rôle de président du jury du festival du film britannique et irlandais de Dinard ?

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Rupert EVERETT. - C’est la première fois que l’on me demande d’intégrer un jury de festival et de le présider ! Cela m’a beaucoup travaillé : je me suis rendu compte qu’en 66 ans d’existence que je ne suis ni un meneur, ni un suiveur. Je n’ai aucune idée de ma méthode. Mais j’espère être un démocrate. Je découvre Dinard, où je n’étais jamais allé auparavant. Pourtant des amis proches, qui habitent dans la même campagne anglaise que moi, vivent ici pendant l’été.

Quel regard portez-vous sur le cinéma anglais ?

Le cinéma indépendant anglais se trouve dans un état tragique. Difficile de trouver des sous, un distributeur des spectateurs. Tout s’est effondré. Avec l’obsession de Donald Trump, qui veut taxer les films produits hors des États-Unis, cela va aussi poser un gros problème pour toutes les productions hollywoodiennes, tournées au Royaume-Uni, qui font vivre nos techniciens et nos acteurs.

Quels sont vos réalisateurs et vos films culte britanniques ?

En premier lieu, les films de David Lean, c’est notre plus grand metteur en scène. Plusieurs de ses œuvres sont dans mon panthéon. Notamment Heureux mortels. Son portrait d’une famille de la classe moyenne de l’Entre-deux-guerres. Le scénario était signé du merveilleux dramaturge Noël Coward. J’aime aussi les films d’Alan Parker, de Ridley Scott. Toute cette bande de réalisateurs qui ont débuté dans la publicité. Ils ont insufflé une esthétique qui manquait jusqu’alors. J’adore aussi les films de Tony Richardson, John Schlesinger : If, Lucky Man. Le dernier que j’ai vu, c’était Flashdance. J’ai un petit faible pour les films des années 1970-1980.

« Oscar Wilde est une espèce de Christ pour la libération des gays » Passer la publicité

Et dans votre carrière, quels sont les films qui ont compté ?

Difficile d’avoir une réponse objective. Plus que mon rôle, ce dont je me souviens c’est l’aventure du tournage. Chronique d’une mort annoncée de Francesco Rosi me vient à l’esprit. Nous avons tourné en Colombie. Il y avait une telle ambition esthétique Hélas, le film a été très mal reçu en France. Je me souviendrai toujours du titre de Libération « Chronique d’une merde annoncée ». The Happy Prince, le film que j’ai écrit et réalisé sur Oscar Wilde, tient une place particulière dans mon cœur.

Oscar Wilde est votre maître à penser ?

Je l’adore. C’est une espèce de Christ pour la libération des gays. Il m’a porté chance au théâtre : j’ai eu toujours du succès en jouant ses pièces, en les portant au cinéma. J’avais le tour de main, ce que certains ne comprenaient pas.

Vous avez fait votre coming out dans les années 1980, à une époque où une telle franchise était rarissime...

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J’habitais en France à cette époque. Je ne me suis pas rendu compte de la portée de mon geste. En France, la vie privée est beaucoup plus protégée. Il y a des garde-fous avec les médias et le public. Je ne ressentais aucune hostilité, aucune agression. C’était pour moi très facile de vivre en France et d’être gay. Mais pour ma carrière, ce n’était pas idéal. Hollywood est un boys club hétérosexuel. Mais de ce poison, j’en ai également fait un atout. Mon homosexualité m’a aussi porté chance grâce au Mariage de mon meilleur ami. C’est à partir de ce film que j’ai commencé à gagner très bien ma vie. Ma personnalité s’est confondue dans mon personnage.

Qu’en est-il de la suite au Mariage de mon meilleur ami ?

J’ai entendu la nouvelle comme vous. Mais je n’en sais pas plus. Je n’ai eu aucune discussion avec mes camarades acteurs du premier volet. Si cela se fait, j’espère que mon personnage aura un petit lifting. Aujourd’hui, je suis un peu trop au naturel. Il faudrait que je redevienne un peu plus hollywoodien. Le souci, c’est que j’ai un peu peur. La chirurgie esthétique, c’est plus risqué, en termes de résultat, pour les hommes que pour les femmes. Regardez Bruce Springsteen, on ne le reconnaît plus. Cependant, le chirurgien de Brad Pitt est très bon !

L’écriture occupe aussi une grande place dans votre vie artistique...

L’écriture est cruciale. Lorsque le téléphone ne sonne plus, en tant qu’acteur, tu as quand même quelque chose d’autre à faire. Mais c’est compliqué, parce que tu te retrouves seul, alors que devant la caméra tu es dans un collectif. Ta créativité vient des autres.

« Dans l’ancien monde, c’était plus facile d’être un vieux »

Est-ce que le téléphone s’est souvent arrêté de sonner pour vous ?

Plusieurs fois. Cela va et vient comme le vent. L’industrie a tellement changé : les grèves, les feux, les conditions de travail, mon âge. Dans l’ancien monde, c’était plus facile d’être un vieux. Il y avait des rôles de généraux, de juges. Tout a changé et s’est rajeuni. Je ne m’en rends même pas compte parce que je ne suis pas dans un autre monde maintenant. J’habite dans la campagne avec mes chiens. Je suis devenu un fermier maintenant! J’ai participé à plusieurs séries. C’est un format que je ne regarde pas car je viens d’une époque où tu allais voir le nouveau Truffaut. Tu regardais l’esthétique de quelqu’un. Dans une série, c’est très rare de garder le même metteur en scène, le même décorateur.

Dans quoi va-t-on vous voir prochainement ?

J’ai enchaîné trois mois de tournages ! J’ai fait un très beau film irlandais qui s’appelle Ancestors. Je suis aussi au générique des saisons 2 de la comédie noire et sexy de Disney + Rivals , qui fait une fabuleuse reconstitution des années 1980, et de la comédie dramatique Big Mood sur la bipolarité, portée par Nicola Coughlan de La Chronique de Bridgerton. Je pense aussi toujours à mon deuxième film en tant que réalisateur. L’histoire se passe à Paris dans les années 1970 : mode, sexe, disco et drogue. Mais peut-être le monde est devenu trop puritain maintenant et que j’ai raté mon moment. Je cherche les financements.