Place de la Nation, Paris 19 heures. Les gouttelettes froides balaient les dernières lueurs du jour. Elles éclairent encore l’imposante statue du Triomphe de la République et les souvenirs de ses cortèges. À l’ouest du rond-point que prolonge l’avenue Dorian, une centaine de gens muets et massés attendent devant une estrade qu’abrite un barnum blanc. Certains brandissent déjà des pancartes.
Une grande banderole dévoile deux portraits de part et d’autre. À gauche, le visage de Cécile Kohler, 41 ans, à droite celui de Jacques Paris, 71 ans. La professeur de Lettres modernes et son compagnon sont détenus en Iran depuis le 7 mai 2022, pour complot contre la sécurité nationale.
Passer la publicitéCe 25 septembre, Cécile Kohler fête son 41ème anniversaire en prison. Le même jour la Cour internationale de justice a annoncé mettre un terme à la procédure qui opposait la France et l’Iran. Signe que Paris aurait bon espoir de récupérer ses deux ressortissants ?
«Nos vies ont complètement changé depuis leur arrestation»
En retrait de l’estrade, juste avant de s’adresser à la foule, Noémie Kohler, la sœur de Cécile, confie rester sur ses gardes. « Il y a eu des déclarations hier des présidents français et iranien, mais pour l’instant nous n’avons pas plus d’informations. Tant que Cécile et Jacques ne sont pas dans l’avion du retour, rien n’est sûr. »
Puis, son visage se durcit. « Nos vies ont complètement changé depuis leur arrestation. C’est un poids permanent. On continue à espérer parce que si on arrête, c’est comme si on les abandonnait. De toute façon, ils rentreront. Ce qui est insupportable, c’est de ne pas savoir quand. » Quelques minutes plus tard, elle rejoint la tribune, sous les applaudissements discrets d’un attroupement suspendu.
Les mines sont sombres, et les regards résolus. Dans la foule, casquettes plates, joggings, écharpes tricolores d’élus, pancartes brandies bien haut, n’offrent guère leur éclat bigarré dans le crépuscule qui gagne. Quelques journalistes déambulent, carnet en main, et les membres du comité « Liberté pour Cécile » se succèdent à la tribune.
«Soutenez-nous»
« Nos ressources sont épuisées. Soutenez-nous. » La voix amplifiée de Noémie Kohler brise le silence. « À chaque rassemblement, on espère que ce sera le dernier. Et nous voilà trois ans et demi plus tard. Pendant plus de deux mois nous étions sans nouvelles. Le samedi 13 septembre, on a eu un bref appel de Cécile puis de Jacques. Ils sont à bout de forces. » Les sirènes de police au loin couvrent un instant ses mots. La foule, immobile, écoute. Elle poursuit, émue : « J’ai une pensée pour les autres otages en Iran, le docteur Djalali, Olivier et Louis, mais aussi Camilo Castro, détenu au Venezuela».
Un autre témoin monte à la tribune. Polo bleu à rayures bleu marine, cheveux tirés, mine grave, il s’appelle Benjamin Brière et a passé 1079 jours dans les geôles iraniennes « Cela fait un an et demi que je ne me suis pas exprimé. Personne ne peut imaginer ce qu’ils subissent ». Le ton est amer, la voix brute que surmontent çà et là des éclats d’une sourde colère : «Monsieur Macron, les ministres se succèdent, mais eux, ils restent enfermés.» Il s’adresse à présent au public en persan, que traduit Me Chirinne Ardakani, l’avocate de Cécile Kohler. «République islamique, es-tu toujours aussi lâche ? » Le ton est dur mais le persan l’adoucit, comme une supplique.
En arrière, un homme aux traits creusés n’a jamais cessé de brandir sa pancarte vers le ciel. Il porte un bonnet phrygien vert, allégorie d’une révolution française transposée aux couleurs du régime iranien. La mère de Cécile, a pris le micro : « L’espoir ne fait pas vivre, il aide à survivre. » Elle cède aussitôt sa place à Me Ardakani, presque en apnée dans sa longue diatribe. « Chaque jour l’espoir diminue », déplore-t-elle. Et d’exiger courage et fermeté de l’État. Certains de ses représentants sont là : député européen, maires, conseillers de la ville de Paris etc.
Amertume et espoir
François Bécheau est adjoint au maire du 19e arrondissement, il tenait à être présent : « La ville de Paris a décidé de faire de Cécile et Jacques des citoyens d’honneur. C’est un geste symbolique, mais face aux autocraties, c’est un signal fort. Ce bruit de fond, cette attention constante, c’est ce qui maintient la mémoire pour qu’ils reviennent. » Et de déplorer la faible couverture médiatique consacrée aux otages français : « À une époque, il y avait Marcel Carton, Michel Seurat… Tous les soirs, on voyait leur tête au journal. Pourquoi n’est ce pas le cas pour Cécile Kohler et Jacques Paris ?»
Si la mobilisation triomphait, le combat ne s’arrêtera pas là. Martine Gauffeny est la secrétaire générale SOS Otages, une association qui a pour objet la défense des victimes de prises d’otages et de leur famille. Elle y a consacré plus de 20 ans de sa vie. « Nous sommes présents depuis le début, à chaque rassemblement, témoigne-t-elle. Mais au-delà du symbolique, il faudra penser à l’après‑détention, qui n’est jamais simple. »
Famille, collègues, bénévoles ou politiques, tous semblent partager une même amertume. La nuit s’installe. Les applaudissements s’allongent, comme pour retenir encore un peu les espoirs déçus. Le cortège se dissipe.