Dans les Landes, un immense projet d’énergie solaire au milieu des champs
Le Figaro Bordeaux
Les agriculteurs français se trouvent souvent entre le marteau et l’enclume. En cultivant la terre, ils exercent un métier essentiel, mais la logique du marché les contraint souvent à l’utilisation de procédés mécaniques et de produits chimiques dégradant les sols, sans pour autant leur assurer un revenu digne. Pour aider les paysans à vivre de leur travail et à mieux préserver leur environnement, tout en accélérant le développement des énergies renouvelables, une idée prend peu à peu racine : l’agrivoltaïsme, une pratique en plein essor associant la production agricole et d’électricité.
Dans le Sud-Ouest, l’un des plus grands chantiers agrivoltaïques de France vient de franchir une étape décisive. Le 23 août, la préfecture des Landes a délivré les 53 permis de construire nécessaires pour la réalisation du projet Terr’Arbouts, qui prévoit d’installer 200 hectares de panneaux solaires sur 700 hectares de surfaces agricoles, répartis sur six communes. La mise en exploitation est envisagée pour 2028, avec une production annuelle estimée à 650 gigawattheures (l’équivalent de la consommation de 140.000 foyers).
Des molécules interdites dans l’eau potable
Bien que tourné vers le soleil, ce chantier a d’abord vu le jour à cause de l’impact catastrophique de l’agriculture sur la qualité de l’eau dans les Landes, polluée au point de ne parfois plus pouvoir être potable. «La totalité des communes concernées par le projet est incluse dans le périmètre des zones vulnérables à la pollution par les nitrates d’origine agricole», précise le rapport de l’enquête publique sur Terr’Arbouts, publié en mai 2024, qui rappelle la genèse de ce projet tout en émettant plusieurs réserves.
Depuis plus de dix ans, trois captages landais «ont été classés prioritaires au regard de leur altération qualitative». Deux d’entre eux sont situés sur le périmètre de ce chantier. «L’eau brute des deux captages est notamment contaminée par deux principaux métabolites du métolachlore et des molécules interdites en France depuis plusieurs années.» Il est rappelé que «dans ce secteur rural, où la maïsiculture prédomine, les risques de pollutions des eaux souterraines sont principalement liés à l’activité agricole».
Le projet Terr’Arbouts est donc en partie né d’une prise de conscience par les agriculteurs de ce territoire de la nécessité d’agir pour «reconquérir une eau de qualité». Une ambition qui passe par une élimination progressive des intrants chimiques, impliquant une modification des pratiques culturales, laquelle pourrait se traduire par une baisse des rendements agricoles. Pour y faire face, Terr’Arbouts prévoit de rémunérer durant 40 ans, via la rente du solaire, les agriculteurs de la zone, qui s’engagent en contrepartie à cultiver l'intégralité des sols sans pesticides, en testant de nouvelles cultures fourragères et d'oléagineux, «moins rentables» et «peu gourmandes en eau».
Garantir «la pérennité de l’activité agricole»
Pour Green Lighthouse Développement (GLHD), la société énergéticienne française implantée en Gironde qui pilote le projet Terr’Arbouts, ce chantier répond en effet à un triple enjeu : «la reconquête agricole, la préservation de l’environnement et la transition énergétique». L’association PATAV (Pujo Arbouts Territoire Agrivoltaïsme) s’est donc créée autour de 35 agriculteurs, avec un système de mutualisation impliquant tous les paysans installés dans le périmètre du projet. Laurent Duclavé, agriculteur et éleveur installé à Castandet, voit dans ce chantier «une opportunité pour tester de nouvelles cultures sans produits phyto et pour développer de nouvelles filières locales déterminantes pour l’avenir de notre métier face au dérèglement climatique».
Pour un autre membre de l’association, Thierry Perrin, ce projet doit surtout permettre aux paysans de «continuer à vivre de [leur] métier indispensable sur le territoire». C’est en effet une crainte régulièrement formulée à l’égard de l’agrivoltaïsme. En assurant aux agriculteurs un revenu nettement plus élevé que celui issu du fermage, cette manne pourrait amener certains paysans à se détourner de leur fonction première pour se focaliser sur cette activité annexe, bien plus rentable, favorisant ainsi la prédation foncière sur les terres agricoles et une certaine dénaturation des paysages. L’installation de panneaux solaires implique en outre plusieurs aménagements, et donc une artificialisation des sols et de potentielles atteintes à la biodiversité.
L’agrivoltaïsme étant une filière récente et encore peu encadrée, Terr’Arbouts fait donc figure de test à grande échelle, mais plusieurs engagements ont été pris pour «garantir la durabilité du projet», précise GLHD. Une convention établie avec l’association PATAV assurera par exemple «la pérennité de l’activité agricole» par le biais d’un «bail rural à clauses agrivoltaïques», et une convention de partenariat a également été conclue avec le Syndicat départemental d’électricité et d’eau des communes, afin de mettre en place une obligation réelle environnementale (ORE), un dispositif foncier «nécessaire à la protection de la ressource en eau, notamment par le passage à un mode de production zéro-phyto». La préfecture précise d’ailleurs être «particulièrement attentive au respect des ORE et du statut du fermage».