«Choose CNRS» : comment la France veut attirer les chercheurs menacés dans leur pays

La France peut-elle être un refuge pour les scientifiques étrangers dont la liberté de travailler est menacée ? Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), vaisseau amiral de la recherche française, vient de lancer son programme «Choose CNRS» pour attirer ces talents, notamment les chercheurs américains maltraités depuis l’élection de Donald Trump. L’organisme, le premier en Europe en matière de recherche avec 34.000 agents, ouvre les bras aux «collègues aujourd’hui empêchés de faire de la recherche», mais aussi aux chercheurs français expatriés dont certains n’ont «pas envie de vivre et d’élever leurs enfants dans les États-Unis de Trump», explique Antoine Petit, le PDG du CNRS.

«Il ne s’agit bien sûr pas d’accueillir tout le monde», explique sur le site du CNRS Alain Schuhl, son directeur général délégué à la science. «Nous concentrons nos efforts pour faire venir en France des chercheurs et des chercheuses de très haute qualité, des jeunes scientifiques prometteurs ou des têtes de ponts, qui pourront apporter une vraie valeur ajoutée et enrichir les communautés de recherche françaises.»

Concrètement, «Choose CNRS» vise «à mieux faire connaître les possibilités pour rejoindre le CNRS à ces scientifiques, avec une communication plus ciblée», explique Alain Schuhl. Ils pourront postuler aux offres du CNRS, l’idée étant de les faire rester en France quelques années au moins.

Peu de moyens supplémentaires

Alain Schuhl promet aussi «des offres compétitives en termes de salaire» pour les post-doctorants, ainsi qu’«un accompagnement conséquent via l’Agence nationale de la recherche, qui permet au lauréat de constituer une équipe de qualité» pour les chaires de professeurs juniors. Antoine Petit assure toutefois être convaincu que «la motivation d’un chercheur n’est jamais la rémunération», mais avant tout «l’environnement de travail, avec ses infrastructures, et la possibilité de se confronter aux meilleurs». Sans compter qu’une fois intégrés les frais liés à l’éducation, la santé et la protection sociale, les écarts de rémunération paraissent plus faibles.

Pour autant, l’argent restant le nerf de la guerre pour financer la recherche, le responsable note que la marge de manœuvre du CNRS n’est «pas très grande». Et place ses espoirs dans l’annonce le 18 avril dernier par le gouvernement du lancement de la plateforme «Choose France for Science», sur laquelle les universités, écoles et organismes de recherche - comme le CNRS - peuvent déposer leurs projets d’accueil de scientifiques internationaux. Son financement, assuré par les institutions et les acteurs privés intéressés, pourra être complété «jusqu’à 50%» par l’État au travers de son programme d’investissement dans l’innovation France 2030.

Cibler des «stars» de la recherche

Avec son initiative, le CNRS, qui a l’habitude de recruter des chercheurs non-Français à hauteur d’un tiers chaque année dans ses concours classiques, vise quatre publics. D’abord, les plus jeunes - les post-doctorants - dont certains pourraient espérer des emplois pérennes. Puis viser des chaires de professeur junior, un dispositif assez récent qui va faire l’objet d’une «publicité particulière cette année», selon Antoine Petit.

Un cran au-dessus, le recrutement annuel de directeurs de recherche externes, c’est-à-dire non issus du corps interne des chargés de recherche, pourrait être redimensionné à la hausse. Enfin, le CNRS veut innover en ciblant des «stars» de la recherche mondiale, sur des chaires internationales. Sans besoin de les payer mieux que ne le sont les meilleurs déjà employés, selon son PDG.

Un «petit élan» dans les premiers contacts

Les premiers contacts traduisent un «petit élan», qui concerne «pour l’immense majorité des non-Américains», explique Antoine Petit. Du côté du gouvernement et de son initiative «Choose France for Science», le ministère de la Recherche assure que «des chercheurs étrangers sont déjà arrivés en France pour se familiariser avec les infrastructures en attente de la mise en place des fonds et de la plateforme».

Ces programmes font suite à l’annonce par Emmanuel Macron d’une conférence à Paris de la communauté de la recherche, prévue lundi 5 mai. Intitulé «Choose science, choose Europe», l’évènement - auquel participera la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen - entend signifier, «dans un moment où les libertés académiques connaissent un certain nombre de reflux ou de menaces, que l’Europe est un continent d’attractivité», selon l’Élysée.

«C’est au niveau européen  que l’effort doit être fait», estimait récemment le ministre de la Recherche Philippe Baptiste. Et pas seulement pour des questions d’argent, mais aussi sur des thèmes comme la libre circulation des chercheurs ou de la connaissance. «On pense, à France-Universités, que c’est l’échelle à laquelle il faut travailler», souligne son vice-président Jean-François Huchet, en rappelant que «l’Europe de la recherche doit encore se constituer». «Ce que nous pouvons faire pour les chercheurs aux États-Unis pourrait accélérer le mouvement et améliorer nos dispositifs», ajoute-t-il. Par exemple dans l’accès à certaines bases de données, partagées avec les États-Unis, qui pourrait être menacé. Ce qui «pose la question de notre souveraineté», avertit le responsable.