Chloé Trespeuch : «Je ne vais pas perdre la flamme de la compétition parce que je suis devenue maman»
Le 24 mars 2024, Chloé Trespeuch a décroché le Globe de cristal récompensant la vainqueure du classement de la Coupe du monde. Un formidable accomplissement pour la Savoyarde qui le touchait du doigt depuis plusieurs saisons, sans parvenir à lui mettre le grapin dessus. Neuf mois plus tard, le 30 décembre précisément, la jeune trentenaire donnait naissance à son premier enfant, un petit garçon prénommé Marlo. De quoi boucler parfaitement une année 2024 extraordinaire pour elle. Mais pas sa carrière. Accroc au sport, Chloé Trespeuch, comme elle a pris de le raconter au Figaro, n’a quasiment pas arrêté de s’entraîner, de bouger. Ce qui explique en grande partie qu’un mois à peine après son accouchement, la voilà déjà de retour aux affaires. Progressivement. Avec l’objectif d’aller chercher le titre olympique qui manque à son palmarès en 2026. Et peut-être aussi en 2030, à domicile.
Comment se passent les premiers pas d’une jeune maman ?
Chloé Trespeuch : Ça chamboule, mais dans le positif, donc c’est cool. C’est un vrai changement de vie parce qu’il faut collaborer à trois en famille, mais c’est super chouette de pouvoir vivre de tels moments. De donner la vie, je pense que c’est la plus belle chose qui me soit arrivée. Sinon, j’ai repris l’activité sportive et de pouvoir partager cela avec Marlo me donne beaucoup de bonne énergie. Le fait d’avoir cet objectif de revenir me permet d’avoir un vrai équilibre, d’être hyper épanouie en tant que jeune maman et de profiter pleinement de ces moments parce que je sais qu’après, j’en aurai un peu moins avec tous les entraînements et les déplacements.
Votre projet de revenir est-il déjà clairement établi, ou demeure-t-il assez flou ?
Les deux. Il est à la fois établi mais je sais aussi qu’il me faudra m’adapter car il y a beaucoup d’inconnus. Ce n’est pas comme un retour de blessure où on a un timing plus précis. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte, que ce soit moi sur le plan physique, la nouvelle organisation avec le bébé… Mais j’ai quand même un petit plan dans ma tête et là, tout se déroule bien sur la rééducation, sur la reprise du sport. Je me sens bien au niveau du cardio parce que j’ai eu la chance d’avoir une grossesse qui s’est parfaitement déroulée, ce qui m’a permis de continuer le sport et le renforcement musculaire quasiment jusqu’au bout. À mes yeux, cela a été comme une clé pour bien vivre ma grossesse parce que c’est vrai que le corps change tellement… Je l’ai vraiment préparée comme une compétition, y compris l’accouchement au sujet duquel je m’étais beaucoup renseignée. J’ai vraiment pris soin de garder ma musculature parce qu'avec la prise de poids, le corps est sous contrainte et le fait de le préparer à ces changements permet de mieux le vivre. Et puis j’avais besoin mentalement aussi de continuer de me dépenser.
Du coup, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Là, j’ai repris depuis une semaine une préparation physique assez chargée avec un préparateur physique spécifique, et j’ai repris la glisse ce week-end. L’idée est de reprendre avec l’équipe de France à plein temps en mai pour faire tous les stages équipe de France et revenir rapidement à mon niveau, ou tout du moins être suffisamment compétitive pour ne pas devoir à adapter mon entraînement.
J’ai fait du sport jusqu’à la veille de l’accouchement. Pendant l’accouchement, j’avais même une petite contracture à l’ischio parce que j’avais fait du renforcement la veille.
Chloé Trespeuch
Finalement, on a l’impression que vous n’avez quasiment jamais arrêté le sport…
(Rires) Oui, c’est un peu cela. J’ai fait du sport jusqu’à la veille de l’accouchement. Pendant l’accouchement, j’avais même une petite contracture à l’ischio parce que j’avais fait du renforcement la veille. Du coup, la sage-femme m’étirait les ischios entre les contractions, c’était assez marrant. À ce moment-là, j’avoue que j’ai un peu regretté cette petite dernière séance (sourires). Après, évidemment que plus l’accouchement, plus je réduisais l’intensité mais j’ai continué à bouger vraiment jusqu’à la fin. Et après l’accouchement, j’ai repris le yoga à la maison assez vite. Donc j’ai dû m’arrêter environ trois semaines. Maintenant, cela reste une reprise progressive en m’adaptant toujours en fonction de la situation et de ce que mon corps me permet de faire aussi.
Avez-vous contacté d’autres championnes qui ont relevé ce défi de devenir mère pendant leur carrière de sportive de haut niveau ?
Oui, et ça a été un point vraiment important parce que, lorsqu’on se renseigne sur le sport et la grossesse via internet ou même les docteurs, il y a beaucoup, beaucoup de principes de précaution qui font qu’on est hyperlimité pendant toute la phase de grossesse. Du coup, pour les athlètes ou pour ceux qui aiment se dépenser, il est très difficile de s’autoriser à continuer à faire du sport parce qu’il y a tellement de préjugés que je ressentais presque de la culpabilité de me sentir bien et de continuer à bouger. Donc j’ai fait vraiment la démarche de beaucoup me renseigner pour valider mon plan de continuer la préparation physique. J’ai eu la préparatrice physique de réathlétisation de l’INSEP, qui a accompagné Clarisse (Agbégnénou) et Cécilia Berder pendant leur grossesse, ainsi que la gynéco de l’INSEP parce que c’est vrai que c’est plus commun dans les sports d’été que les sports d’hiver. J’ai aussi échangé pas mal avec Justine Braisaz, qui m’a vraiment rassurée avec son discours tellement positif sur comment, elle, a vécu la grossesse et surtout sur son retour en compétition. Elle m’a vraiment conforté sur les superpouvoirs du corps humain et sur sa capacité à récupérer. Cela m’a vraiment libéré d’un poids et j’ai pu avancer sereinement une fois que j’avais eu ces échanges positifs avec toutes celles qui avaient vécu ça, comme Mélina Robert-Michon ou Sarah Ourahmoune.
Avant votre grossesse, vous veniez de décrocher pour la première fois le Globe de cristal de votre discipline. Les Jeux olympiques, eux, sont dans un an. Niveau timing, cela ne semblait donc pas idéal, mais est-ce une donnée qui est entrée en considération pour vous ?
C’est vrai que l’idéal aurait été de le faire un peu plus tôt. D’ailleurs, c’était le projet. Mais contrairement au sport où l’on est vraiment acteur, on ne décide pas de tout sur le timing d’avoir un enfant. Néanmoins, mon souhait était vraiment de ne pas louper les Jeux. Mais mon envie d’avoir un enfant était tellement forte que je me suis laissé le temps jusqu’au dernier moment d’être enceinte, ce qui signifiait jusqu’au printemps dernier où cela a marché. Et le fait d’avoir eu avant le Globe de cristal a vraiment été quelque chose qui a joué dans cette réussite de tomber enceinte, parce que je pense que j’étais tellement programmée pour cet objectif que, peut-être inconsciemment, je ne m’autorisais pas à me lancer pleinement dans le projet maternité. Le fait d’enfin l’avoir après toutes ces années où j’ai couru après, où je n’étais pas loin sans le décrocher, m’a permis de valider le côté sportif et cette réussite m’a permis de lâcher prise complètement sur le sport et de m’autoriser le repos mental, physique, qui fait que j’ai pu tomber enceinte juste après la saison. Donc au final, cela a vraiment été la saison de rêve. Après, oui, le timing est serré mais franchement j’adore cela parce que je trouve que dans l’urgence, dans les challenges de grande ampleur, me permettent de me révéler. Et j’avais envie de ne pas choisir et de concilier les deux, même si le timing est serré.
Il vous reste un grand objectif : l’or olympique. D’avoir réalisé ces deux rêves en 2024 vous ôte-t-il de la pression dans la réussite de ce dernier grand objectif ?
Je pense que oui mais je ne sais pas vraiment parce que tout est nouveau. Mais dans le discours des autres sportives, elles m’ont vraiment dit que j’allais désormais encore mieux gérer l’enjeu, au sens où je vais relativiser cette pression sportive parce que j’ai aussi un enfant à la maison et que c’est ça qui compte le plus. Mais je ne vais pas perdre la flamme de la compétition parce que je suis devenue maman. Je garde cette identité d’athlète. J’ai toujours cette envie de défi au fond de moi, donc je n’ai pas du tout peur de manquer d’implication ou d’envie pour les Jeux olympiques. Bien au contraire, je trouve que ça va être encore plus riche de le partager en famille. Simplement, je vais relativiser l’enjeu et donc oui, ça peut être un plus.
C’est sûr que si je me lance dans cette aventure des JO 2030, c’est que j’estime avoir des chances d’aller chercher une médaille. Je ne veux pas que ce soit juste pour finir en France.
Chloé Trespeuch
Pensez-vous que, comme d’autres sportives, cette maternité peut vous permettre de durer plus longtemps ?
Oui, peut-être. Déjà, je pense que ça peut vraiment m’apporter dans ma carrière. Je suis une athlète de 30 ans et ça fait quand même des années que je fais la même chose. Et là, d’avoir ce renouveau, ce nouveau challenge et cette modification du quotidien, ça va être super parce que je déteste la routine. Et là, pour le coup, la routine va être complètement chamboulée. Ensuite, je n’ai pas d’idées sur la fin de ma carrière, mais en effet, ça peut vraiment jouer sur la longueur de celle-ci parce qu’en tant que femme, on est toujours motivée par l’envie de devenir mère et de ne pas louper le coche. Et le fait d’avoir fait cette pause maternité et de me dire que mon enfant est là et qu’on peut continuer ensemble sans avoir à choisir, je pense que oui, ça peut vraiment jouer dans la balance pour continuer jusqu’aux JO 2030. Même si ce n’est pas du tout acté, parce qu’il y aura plein d’autres choses à prendre en compte.
Finir votre carrière sur des JO à domicile, sous les yeux de votre fils qui aura alors 5 ans, cela doit être motivant…
Oui, c’est sûr. C’est sûr que si je me lance dans cette aventure des JO 2030, c’est que j’estime avoir des chances d’aller chercher une médaille. Je ne veux pas que ce soit juste pour finir en France. C’est pour ça que je me donne le temps de voir comment les années passent et si je suis toujours aussi performante et que j’ai toujours la même flamme. Mais en effet, vu de loin, ça a l’air d’être super de finir avec Marlo en 2030 en France et une dernière médaille.