«Pour moi, c'est un mythe»: les confidences de Cédrine Kerbaol, première Française victorieuse sur le Tour de France Femmes
Jeannie Longo restera à jamais la première Française à avoir remporté une étape sur le Tour de France (23 au total, de 1985 à 1989), mais elle n’est désormais plus la seule. Le 16 août dernier, Cédrine Kerbaol a fait son entrée dans ce cercle très fermé en s’adjugeant la 6e étape de la Grande Boucle femmes (une course qui n’a refait son apparition qu’en 2022). Après 159 kilomètres d’effort pour relier Remiront à Morteau, entre Vosges et Doubs, la jeune Bretonne de 23 ans a connu son jour de gloire. Déboussolée, elle a cependant contenu sa joie.
« Les gens ont tendance à penser que c’est un moment formidable, mais, après l’effort, tu es perdue, tu ne sais pas ce qu’il t’arrive. Je savais que j’avais gagné, mais je ne me rendais pas compte de l’importance et de l’ampleur de ce que j’avais réalisé », nous raconte la cycliste de la formation Ceratizit-WNT Pro Cycling Team. Une victoire sur le Tour ? Une consécration pour elle. « Pour moi, c’est un mythe. Quand on est dans la course, on ne se rend pas compte des choses. Même encore aujourd’hui, j’ai du mal à réaliser. C’est assez bizarre. Les médias et les personnes ont tendance à idéaliser ce moment après la victoire. Pour nous, c’est normal. Nous avons cravaché pour ça. Nous sommes dans le déni. »
Cédrine Kerbaol se remémore ensuite son échappée en solitaire. Partie à 14,6 kilomètres de l’arrivée, la Tricolore a été accompagnée pendant un léger temps par la Néerlandaise Pauliena Rooijakkers (Fenix-Deceuninck) mais l’a lâchée à la pédale. « Je lui ai proposé de passer un relais. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas. J’ai juste fait ma descente et elle n’a pas pu suivre. Cela n’était pas prémédité… »
La concentration avant la consécration
Esseulée à l’avant face à son destin, avec, à ses trousses, un groupe de favorites prêtes à lui voler la victoire, Kerbaol a su garder son calme, les yeux rivés sur son objectif, qui se situait quelques kilomètres plus loin, à Morteau. « Je me suis recadrée à plusieurs reprises sur le vélo pour ne pas me faire de faux espoirs. Il fallait juste pédaler. C’est seulement à 200 mètres de l’arrivée que je me suis dit : “OK c’est bon.” » Des jambes de feu, un mental d’acier. « Le mental est primordial, mais, sur un Tour de France, l’adrénaline fait passer plus facilement les obstacles. Bon, je ne vous le cache pas, j’avais envie de vomir à l’arrivée », raconte la native de Brest, qui a donc remporté une étape dès sa deuxième participation au Tour de France.
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Lors de la précédente édition, elle avait pris la 12e place du général mais s’était surtout illustrée en s’adjugeant le maillot blanc de meilleure jeune. Un an plus tard, elle lève les bras à Morteau et termine 6e du général. Des résultats en progression qu’elle ne parvient à expliquer que partiellement. « Entre l’année 2023 et 2024, il n’y a pas eu de changements. La charge d’entraînement est identique, tout comme le matériel et les coéquipières, énumère-t-elle. Le déclic s’est produit la saison d’avant. J’ai changé d’équipe (en 2022, elle évoluait dans les rangs de la Cofidis, NDLR) et d’entraîneur. J’ai également terminé mes études (elle est désormais diplômée en nutrition et diététique). Cela m’a mis dans les meilleures conditions. »
Une «touche-à-tout»
Si elle brille désormais sur les routes, cela n’a pas toujours été le cas. « J’ai essayé beaucoup de sports. J’ai pratiqué l’athlétisme, le triathlon, l’escalade, le surf… Une vraie touche-à-tout », raconte en souriant celle qui a commencé le vélo à l’âge de 14 ans. Après avoir pris des claques sur « les courses du dimanche », comme elle les appelle, Cédrine Kerbaol s’est vu prêter un vélo. Un geste qui a changé pas mal de choses, à commencer par son niveau : « On m’a prêté un bon vélo, moins lourd que le mien, et je m’améliorais avec. Cela m’a donné envie de continuer et de m’entraîner plus sérieusement. »
Au fond de moi, je souhaitais finir dans le top8 et claquer une étape
Cédrine Kerbaol
Depuis ce jour, elle qui n’était jamais allée voir de courses par le passé ne quitte plus sa monture et se fixe des objectifs individuels qu’elle ne dévoile pas à la presse, du moins pas avant de les avoir atteints. « Avant le départ du Tour, j’avais dit aux médias que je voulais me faire plaisir sur une étape, mais, au fond de moi, je souhaitais finir dans le top 8 et claquer une étape », livre la Bretonne, qui détermine elle seule ses ambitions.
Pour se prouver qu’elle est capable de faire de belles choses, mais également démontrer aux autres son potentiel. Championne de France 2023 du contre-la-montre, Cédrine se savait très attendue à Rotterdam (3e étape) sur le chrono - elle en a pris la 4e place - mais ne veut pas être réduite qu’à ses qualités de rouleuse. Une étiquette qu’elle refuse de porter. « Dans ma tête, je me suis dit non. Je pense qu’en montagne je peux aussi être forte. Mon but est d’être la plus complète possible et de me faire plaisir sur l’ensemble des terrains. »
Le cyclisme féminin français a de beaux jours devant lui
Du plaisir, elle en a pris et en a donné lors de cette troisième édition du Tour de France féminin. Mais elle n’a pas été la seule. Le bilan tricolore est positif avec trois Bleues dans le top 10 final (Évita Muzic 4e, Kerbaol 6e et Juliette Labous 9e). « On a montré que nous, les Françaises, ne jouions plus à l’arrière du tableau comme cela pouvait être le cas auparavant, souligne-t-elle avant de nous expliquer les racines de ce renouveau. Les charges de travail sont de plus en plus élevées, et ce, au plus jeune âge. La professionnalisation se fait plus tôt. Une harmonie a été trouvée. »
De bons résultats sur le circuit mondial qui ne devraient pas cesser l’an prochain avec l’arrivée de Pauline Ferrand-Prévot – médaillée d’or olympique de VTT à Paris – dans les rangs de la Visma-Lease a Bike. Elle a signé un contrat de trois saisons. « Pauline, c’est une image de la France. Sa présence va amener du monde », se réjouit Cédrine Kerbaol. Mais, avant de penser à la saison suivante, de grandes échéances restent à venir pour la Finistérienne : les championnats du monde, fin septembre à Zurich, en Suisse. Un événement auquel elle « espère pouvoir participer et être performante ».