400 autocars et 25.000 «manifestants» : à quoi ressemble une «grande mobilisation» de patrons ?

Plus de 25.000 patrons réunis en meeting, des discours chocs et une colère contenue mais palpable... Les chefs d’entreprise aussi savent manifester quand la politique du gouvernement les exaspère : c’est ce qu’a rappelé le président du Medef Patrick Martin au nouveau premier ministre Sébastien Lecornu ce samedi 13 septembre. Menaçant d’une «grande mobilisation patronale» en cas d’augmentation d’impôts, «sous forme de meeting», le porte-parole des patrons a renvoyé à un précédent qui date «du début des années 1980».

C’était le 14 décembre 1982 : le Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du Medef, réunit donc 25.000 chefs d’entreprise dans une grande halle du parc des expositions de Villepinte, près de Paris. Le monde des affaires ne digère pas le choc de l’élection de François Mitterrand, qui nationalise à tout va et mène une politique largement plus favorable aux salariés qu’aux patrons. Le président du CNPF, Yvon Gattaz, a beau aller plaider pour ses idées à plusieurs reprises à l’Élysée, le président socialiste refuse d’infléchir sa politique.

Les États généraux des entreprises sont une véritable démonstration de force qui sera mise à profit pour négocier avec le pouvoir socialiste. PIERRE GUILLAUD / AFP
Passer la publicité

«Images chocs»

Le CNPF a déjà lancé une «guerre des tranchées» au début de l’année 1982, à la suite de laquelle il obtient quelques concessions du gouvernement, notamment la fin des augmentations de charges pour les entreprises et des modifications de la taxe professionnelle. Pas suffisant pour apaiser le climat de défiance entre le pouvoir socialiste et le patronat. Yvon Gattaz a alors l’idée d’organiser une démonstration de force.

Hors de question toutefois de descendre dans la rue comme les syndicats : la mobilisation prendra la forme d’un meeting calme mais envoyant un message fort. Le 14 décembre, pas moins de 400 autocars convergent vers le nord de Paris pour convoyer les 25.000 patrons venus de toute la France, racontent les journalistes du Figaro à l’époque. On installe «deux écrans géants de 150 mètres carrés» pour «projeter des images chocs», et les chefs d’entreprise défilent à la tribune pour clamer leur désarroi face à la politique du gouvernement.

La Une du Figaro au lendemain de la mobilisation du CNPF à Villepinte. Le Figaro

On se plaint, déjà à l’époque, des charges et taxes trop lourdes, de la lenteur et de la lourdeur la machine administrative, de la paperasse trop importante... «Nous demandons que, dans nos entreprises, il y ait moins d’État, moins d’administration, moins de bureaucratie», résume alors Yvon Gattaz. Des patrons reprochent aux socialistes de formuler des promesses face à leurs revendications d’une part avant d’ajouter de nouvelles taxes d’autre part. «Le gouvernement allège les entreprises par les mots en les écrasant par des faits», s’agace ainsi le PDG d’une entreprise de cartons et d’emballages. D’autres viennent raconter comment ils ont été séquestrés par leurs salariés lors de grèves, ou comment ils ont tout perdu, selon eux à cause des lourdeurs administratives.

Les 25.000 chefs d’entreprise réunis ce jour-là adoptent la «Charte de Villepinte», listant notamment des revendications pour les pouvoirs publics : baisse des taux des charges sociales de deux points par an pendant cinq ans, une taxation plus juste des bénéfices... Mais les patrons s’engagent aussi à agir en contrepartie, notamment en développant les exportations françaises et en promettant de se mobiliser contre le chômage en embauchant 600.000 jeunes.

S’ils n’obtiennent rien de concret dans la foulée de ce meeting, cette démonstration de force réussie contribuera à maintenir la pression sur les socialistes pour obtenir une inflexion de la politique de Mitterrand. Les ministres reçoivent les patrons pour discuter de leurs griefs, le dialogue est facilité. À l’époque, même l’Élysée jugera la manifestation «positive et bonne pour le climat général de la société française».