De la controverse Shein aux sarouels de Balmain et à la bourgeoise SM de Tom Ford : 48 heures dans la vie de la Fashion Week

À la Fashion Week de Paris, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Si les débuts de Jonathan Anderson chez Dior ont monopolisé les conversations en début de semaine, cette fois, c’est l’annonce de l’ouverture d’un Shein de 1 200 mètres carrés au BHV qui provoque un scandale dans les rangs des défilés. C’est là toute la schizophrénie de l’industrie de la mode qui fait le grand écart entre le luxe - qui, quoi qu’on en dise, fabrique en Europe et porte des valeurs de qualité, de durabilité et de créativité - et à l’autre bout du spectre, l’ultra-fast fashion et ses produits jetables et polluants, copies sans vergogne des créations des grandes maisons comme des jeunes designers indépendants. En ces temps difficiles pour l’économie de la mode, ces questions sont on ne peut plus sensibles.

Stella McCartney, en prise avec le réel

Stella McCartney printemps-été 2026 IK ALDAMA

En particulier celles qui touchent à l’environnement et dont Stella McCartney a fait une priorité depuis maintenant vingt ans. Une fibre écologique et végane transmise par sa mère, Linda, et par son Beatles de père, Paul McCartney, qui n’a pu assister au défilé, mais qui n’est pas complètement absent puisque l’actrice Helen Mirren déclame les paroles de Come Together en personne, au beau milieu du podium. Pour l’été 2026, McCartney envoie une ribambelle de filles athlétiques, tout en jambes, moulées dans des robes à plumes aux couleurs pop (qui n’ont occasionné aucune cruauté animale, puisqu’elles sont à base de plantes) ou sûres de leur sex-appeal dans des costumes d’homme carénés juste ce qu’il faut. C’est du Stella, capable de faire du jean cool pour le quotidien, du costume impeccable pour la vie professionnelle et de la robe de party girl pour les occasions spéciales.

Tom Ford, forever young?

Tom Ford, défilé printemps-été 2026 Tom Ford
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La femme Tom Ford, elle, n’a pas les mêmes problématiques vestimentaires. Les soucis de la vie quotidienne et la charge mentale, très peu pour elle. Depuis les années 1990, elle est restée figée dans l’espace-temps « TF » : même perruque de Crazy Horse qu’à l’époque porno chic ; même smoking blanc à la Gatsby porté sur peau nue ; et même mise en scène érotico-théâtrale (rappelant les belles années de Claude Montana) avec musique dramatique et bourgeoises SM en manteaux scintillants comme la peau d’un serpent.

Seulement, Haider Ackermann, dont c’est la seconde collection pour la maison, n’a pas les moyens pharaoniques qu’avait le Texan à l’époque. Et, dans l’espace plus modeste de l’hôtel d’Évreux, les déesses en robe longue décolletée jusque sous le nombril et fendue jusqu’à l’aine ou en veste de cuir et résille fétichiste tombent de leur piédestal. Même cause, même effet pour les hommes en short de cuir et ballerines ou en short de Nylon transparent et slip-on… Il leur manque la véritable décadence et l’ironie mordante de Tom Ford.

Balmain, la douceur d’un sarouel

Défilé printemps-été 2026 Balmain IK ALDAMA

S’il a longtemps été le « bébé » de la mode - son premier show Balmain, il le signait à 25 ans -, Olivier Rousteing est aujourd’hui un « vétéran », comme il le dit lui-même avec le sourire. « Et pourtant, quand je suis arrivé, on m’a pris pour un bleu, un rebelle ! », ajoute-t-il. En 2011, le Bordelais, alors bras droit de Christophe Decarnin, reprenait presque au débotté les rênes de la belle maison de couture endormie. Mercredi soir, il revenait sur les lieux du crime de son tout premier défilé, l’Hôtel Intercontinental. La salle de bal avec stuc et dorures est pleine comme un œuf et les clientes débordent du premier rang.

Défilé printemps-été 2026 Balmain IK ALDAMA

Si le golden-boy savoure le travail accompli, il ne s’endort pas sur ses lauriers : « Cette collection estivale parle d’introspection et de retour à soi. Nous vivons une époque de changement dans cette industrie, mais j’ai eu besoin de m’échapper du bruit ambiant pour me questionner sur mon travail, sur ce que cela voulait dire d’être toujours là près de quinze ans plus tard et créer encore de la nouveauté. » Alors que Balmain célèbre ses 80 ans d’existence, Rousteing reste sur sa ligne : des « sarouels façon Aladin » (comme disait déjà Gims en 2015), des minirobes spectaculaires, ici brodées de milliers de coquillages, tout comme des sandales plates et des besaces à longue anse. L’esprit rock et rebelle de son vestiaire des débuts ayant laissé la place à une douceur baba cool qui lui sied bien.

Mugler, le spectacle doit continuer

L’oiseau de Paradis cher à Thierry Mugler revisité par Miguel Castro Freitas Spotlight Launchmetrics

À 45 ans, Miguel Castro Freitas est inconnu du grand public, mais n’en a pas moins un CV impressionnant (Dior auprès de John Galliano et Raf Simons, Dries Van Noten, Lanvin, etc.). Jeudi, c’était la première fois que le Portugais s’avançait dans la lumière à la fin d’un défilé, celui de Mugler. Un nom légendaire de l’histoire de la mode, mais qui n’a jamais renoué avec l’aura et le succès depuis le départ de Thierry Mugler lui-même. Longtemps dans le giron de Clarins, désormais dans celui du groupe L’Oréal, la marque réalise son chiffre en vendant des parfums Angel aux campagnes publicitaires impactantes, mais ne compte plus vraiment sur son prêt-à-porter. Ce qui explique que, ces dernières années, Mugler est devenu un théâtre de créatures fantastiques et de mises en scène disruptives. Cette saison ne fait pas exception. Miguel Castro Freitas a choisi l’ambiance interlope et brute d’un parking sous-terrain pour faire défiler ses femmes en tailleur-jupe cigarette de latex, en top de plumes d’oiseau de paradis et en costume déconstruit au pantalon finissant en escarpins. Certes, les références à l’esthétique et à l’univers de Mugler sont bien là, mais il manque son art du tailoring qui transformait les femmes en super-héroïnes par la simple magie d’une veste et d’un pantalon bien coupés.