Bi-polaire : c’est ainsi qu’elle se présente. Notez le jeu de mots. Blanche Gardin est à la fois spécialiste de l’Arctique et dépressive. Ce moral au plus bas a des raisons. Les yétis se font rares (réchauffement climatique), elle a perdu son job de chercheuse (ivresse) et son compagnon vient de la quitter (lassitude). Ça n’est pas tout. Un docteur lui découvre une sale maladie. Cette nouvelle la débarrasse d’un souci. Dans ces cas-là, la solution consiste à retourner dans le chalet familial.
Elle n’a prévenu personne. Quand elle s’en va, c’est la même chose. Elle agit sans crier gare. Cela fait son charme. Cela agace, aussi. Ses deux frères, Basile et Lolo, sont restés dans le Jura. Ils l’assomment à coups de poêle, ne comprennent pas sa situation. Elle revoit son amour de jeunesse, bien embarrassé par ces retrouvailles. Coline est une âme pure. Ses sentiments sont fossilisés dans la glace du passé. Le monde moderne ne convient pas à ce Paul-Émile Victor au féminin. Quelle idée d’effrayer une classe de maternelle en racontant aux enfants comment elle a tué un ours !
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Passer la publicitéCuriosité et bienveillance
Coline retourne au Groenland. Elle ne se soigne pas, tape son histoire sur son ordinateur., clope au bec. L’exploratrice en doudoune se met hors-jeu. Les habitants l’accueillent avec curiosité et bienveillance. Des jumeaux semblent tout droit sortis d’un album de Tintin. Le médecin local chante Aux Champs-Élysées, de Joe Dassin, avec un drôle d’accent. Un voisin regarde Little Big Man à la télévision. La contrée n’est pas ce qu’on dit. Coline disparaît, toute seule, s’enfonce dans la blancheur. Le geste a quelque chose de japonais. Cela produit de l’effet. C’est vide, c’est immense. On en est un peu chamboulé.
Blanche Gardin porte la chapka avec panache et conviction. Elle trouve peut-être là son meilleur rôle. Nous avons besoin de scientifiques imprévisibles et farfelues. Dans cet univers de brise-glace, de stations de ski hors saison et de chiens de traîneau (moyen le plus commode pour aller du dispensaire à l’igloo), Philippe Katerine a le vertige et tient un restaurant d’altitude. Bastien Bouillon a des lunettes rondes et une barbe. Une virée en télésiège adresse un clin d’œil aux Bronzés.
L’Incroyable Femme des neiges ne plaira pas aux agrégés du cinéma, aux rudes penseurs du travelling. Il cause un grand plaisir. La liberté s’y ébroue de façon presque dégoûtante. Ces manières sont intolérables. On ne sait dans quelle boîte ranger son réalisateur Sébastien Betbeder. Il a son rayon à part. Il filme comme il respire, montre ce qui lui chante, oublie de consulter sa montre. Sa caméra ne dort jamais. Une dose de métaphysique, juste ce qu’il faut, se glisse entre les images de cette Incroyable Femme des neiges. La gravité, il n’y a pas de mal à ça, surtout quand elle est souriante. Il y a, de surcroît, une certaine poésie. On n’en jette plus.
« L’Incroyable Femme des neiges ». Comédie dramatique de Sébastien Betbeder. Avec Blanche Gardin, Philippe Katerine, Bastien Bouillon, Ole Eliassen. Durée : 1 h 42.
L’avis du Figaro : 3/4.