Pour son défilé croisière Dior, Maria Grazia Chiuri déclare son amour à Rome
Croiser un prêtre à un défilé de mode n’est pas chose courante ... sauf à Rome. Don Giacomo Cardinali, vice-préfet de la Bibliothèque apostolique du Vatican, ne dépare pas ce mardi soir dans les jardins de la villa Albani-Torlonia parmi les 750 invités du défilé croisière Dior. «J’ai rencontré Maria Grazia il y a trois ans par l’entremise de Pietro Ruffo, un artiste romain que nous avons exposé au sein de notre institution», raconte-t-il volontiers. Nous avons tout de suite sympathisé.» L’archiviste ne tarit pas d’éloges au sujet de la créatrice dont il accueille les travaux à travers l’exposition En Route jusqu’au 20 décembre 2025. Mieux, il connaît bien ses collections puisqu’il a déjà assisté à plusieurs de ses shows à Paris. Mais toujours incognito, en habit civil.
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Maria Grazia Chiuri est la première femme depuis 1947 à occuper le poste de directrice artistique de Dior, emblème de la mode française. Et si ces dix dernières années, elle en a écrit une des plus belles et riches pages, elle n’a jamais caché que son cœur allait à Rome, sa ville natale. Lorsqu’on la rencontre en coulisses une heure avant le défilé, elle ne trahit pas son émotion, d’avoir amené ici, chez elle, la maison de l’avenue Montaigne et tous les amoureux de la mode qui suivent les collections croisière durant le mois de mai. Mais elle est intarissable sur les richesses de la cité éternelle actuellement dans l’actualité papale: «Vous savez le Vatican est très présent à Rome. Lorsque nous avons inauguré il y a une semaine le Theatro della Cometa (une salle de spectacle qu’elle a acheté puis rénové avec sa fille durant plusieurs années, NDLR), nous avons dû arrêter un moment les festivités car le pape passait et les autorités ont fermé la route. C’est une ville hétéroclite, disparate, faite de strates historiques, architecturales, culturelles. C’est un peu confus mais c’est ’una bella confusione’! (rires)». C’est justement l’inspiration de cette collection croisière, profondément romaine comme elle.
La Bella Confusione est le titre du livre de Francesco Piccolo racontant l’année 1963 de Claudia Cardinale, tiraillée entre les tournages de 8 1/2 de Fellini et du Guépard de Visconti. Sur le tableau d’inspiration toujours très évocateur de la créatrice, les clichés de l’actrice côtoient ceux de Mimi Pecci Blunt, la riche mécène romaine du Theatro della Cometa après-guerre. La comtesse fut aussi galeriste, amie de Cocteau et Dali, vécut entre Rome et Paris. Un soir de 1930, elle organisa un fameux Bal blanc dans les jardins de sa propriété, rue de Babylone. Tous les invités devaient s’y présenter dans une tenue immaculée et rejouer des saynètes pseudo-historiques. Épinglés également l’affiche de Fantômes à Rome, comédie italienne sortie en 1961 avec Marcello Mastroianni jouant un fantôme séducteur en habit (blanc).
Cette Bella confusione, ce mardi soir, s’ouvre donc dans les jardins de la Villa Albani Torlonia, magnifique écrin de verdure à l’italienne ... sous la pluie. «Ce ne serait pas un défilé Dior sans une petite averse», nous chuchote notre voisine. Les invités sortent les parapluies, presque habitués depuis un gros orage qui s’est abattu sur la «première croisière» de Maria Grazia en 2018. Une pluie qui ne s’interrompt pas pour les premiers passages, douze réinterprétations des archives de l’atelier Tirelli, spécialiste italien du costume d’époque depuis les années 1930, ayant contribué aux plus belles heures de la Cinecitta, de Visconti à Fellini. Une belle averse qui ne fait qu’accentuer la dramaturgie et l’atmosphère presque «after hour » de cette parade d’un autre temps auquel la première fille, couronnée de fleurs blanches, vêtue d’une veste queue-de-pie passée sur un fourreau de satin immaculé, emboîte le pas.
Suivent quatre-vingts looks presque entièrement passés au blanc. Trente-et-un ont été confectionnés par les petites mains des ateliers haute couture de l’avenue Montaigne. Difficile de savoir lesquels tant l’ensemble est d’une sophistication folle. Cascades de dentelles et de volants, transparences dessous dessus laissant voir des cuissardes en dentelle fine comme des bas, chaque robe, digne du trousseau de Joséphine, léchant le sol détrempé, rivalise de finesse et de légèreté. Plutôt que de tomber dans l’historicisme, «MGC» questionne au fil des passages le vêtement et le costume, le présent et le passé, le portable et l’exceptionnel. Alors que pour le final tombe les dernières gouttes - comme d’un fait exprès, la créatrice italienne livre une collection plus fantasmée qu’à son habitude. Moins Dior certes mais sans doute l’une de ses plus personnelles. Brava!