« Une vision patriarcale de la famille » : le Sénat veut conditionner l’accès des femmes exilées à l’AME au bon vouloir de leur conjoint

Transformer l’accès au soin des femmes exilées en un nouvel espace de violence conjugal. C’est ce que propose un rapport sénatorial publié le mercredi 9 juillet. La recommandation n° 5 de ce texte parlementaire propose de « prendre en compte les revenus du conjoint » dans le calcul de l’éligibilité à l’aide médicale d’État (AME).

En clair, « cette mesure contraindra des centaines de milliers de femmes en France à obtenir l’autorisation de leur conjoint pour se soigner et forcera des dizaines de milliers de victimes de violences conjugales, de proxénétisme ou de traite des êtres humains à demander l’autorisation de leur agresseur pour accéder à des soins post-violences », explique l’ONG Women for Women France, dans un communiqué du 21 juillet.

Une proposition remise en cause par les associations

Cette logique n’est pas nouvelle. En octobre 2024, les membres du gouvernement Barnier avaient déjà lancé cette offensive contre les droits des femmes étrangères en émettant la même proposition. Dénonçant une « vision patriarcale de la famille », de nombreuses associations avaient alors dénoncé cette dérive.

« La conjugalisation des ressources ferait reposer l’accès aux soins sur le bon vouloir du conjoint, rendant les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles encore plus dépendantes pour leurs besoins de santé essentiels, notamment pour les soins post-agression ou la contraception d’urgence, ou encore pour la chirurgie de reconstruction à la suite de mutilations génitales, estimait, par exemple, la Cimade. Exiger de ces femmes qu’elles sollicitent l’accord de leur agresseur pour se soigner, ce serait les enfermer davantage dans des situations de contrôle et d’isolement, limitant leur accès aux structures d’aide. »

Interpellé sur cette question par les députés du Nouveau Front populaire, Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, avait défendu cette logique par sa volonté de « contrôler les dépenses avec fermeté, car si la santé n’a pas de prix elle a un coût… ».

Bruno Retailleau souhaite sabrer l’AME

Au Sénat, la socialiste Marie-Pierre Monier était montée au créneau, en novembre 2024, dénonçant une mesure « à rebours de la logique de déconjugalisation portée par la récente réforme du mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ».

La réponse du ministère chargé de la santé et de l’accès aux soins n’a été publiée, elle, qu’en juin 2025 : « Aucun projet de texte n’a à ce jour été publié » sur la base de cette proposition « en raison notamment de la dissolution de l’Assemblée nationale et des changements de gouvernement. »

Qu’à cela ne tienne, Bruno Retailleau, l’actuel ministre de l’Intérieur, radote sur le sujet, assurant qu’il souhaite « réformer l’aide médicale d’État », comme il l’a encore rappelé le 16 juillet, dans le cadre du débat sur le budget 2026. Si une telle réforme passait par la proposition du rapport Delahaye, cela « démontrerait que le gouvernement français n’a pas encore saisi l’essence même des violences conjugales et du contrôle coercitif », affirme Sarah McGrath, la directrice générale de Women for Women France. Et d’en conclure : « Quand on rend une femme dépendante de son agresseur pour se soigner, on devient complice de l’agresseur. »

Urgence pour l’Humanité
Votre don peut tout changer

Faites vivre un média libre et engagé, toujours du côté de celles et ceux qui luttent
Je veux en savoir plus