Laurent Lafitte, maître de cérémonie à Cannes : «Il ne faut pas s’amuser à casser la machine de célébration du cinéma»

Laurent Lafitte  se plaît à jouer les maîtres de cérémonie. L’ancien pensionnaire de la Comédie française a présenté les Molière en 2011, avant même d’intégrer la vénérable institution l’année suivante. En 2016, il est pour la première fois sur la scène du Palais des festivals à Cannes. Il y revient cette année, pour ouvrir (ce soir, à partir de 19h05) puis clôturer (samedi 24 mai, 19 heures) le festival.

LE FIGARO TV MAGAZINE.- Qu’est-ce qui vous avait motivé pour animer les cérémonies cannoises la première fois en 2016, et qu’est-ce qui vous a donné envie de recommencer ?
Laurent LAFITTE. - À l’époque, je ne connaissais pas très bien le festival et c’était pour moi une façon assez marrante de le découvrir de l’intérieur. J’avais aussi Elle, le film de Paul Verhoeven en compétition, qui m’offrait une autre perspective. Et j’aime cet exercice, c’est un exercice de style. Essayer de trouver un ton, s’amuser autour de quelque chose d’assez protocolaire. Et plus il y a de règles, plus il est amusant de les contourner. Cette année, ce sont les mêmes raisons. Mais, en plus, l’actualité est particulière, le festival montre un cinéma assez engagé, politique. J’ai trouvé intéressant d’aborder d’autres thématiques.

Que vous a appris votre première expérience ?
Elle était contrastée. J’avais écrit une cérémonie assez fournie et elle a été résumée à ma vanne sur Woody Allen. Tout le monde m’est tombé dessus. C’était six mois avant MeToo. Il est presque intéressant rétrospectivement de voir comment les choses ont évolué : à l’époque, faire de l’humour sur ce sujet ne passait pas ; neuf ans après, ce serait de ne pas en faire qui ne passerait pas. Je ne me considère pas comme un lanceur d’alerte. J’ai subi cette pression. J’ai même fait un tweet en disant que j’étais désolé si ma blague avait blessé. J’étais en avance dans mon humour mais pas dans ma manière d’assumer, j’ai obéi aux codes. Je pensais que l’humour était un endroit de liberté, je le pense encore. J’aurais dû rester dans le « never explain, never complain », vous en faites ce que vous voulez.

N’est-ce pas toujours un peu casse-gueule finalement d’être maître de cérémonie ?
Il y a plus de coups à prendre en effet. Mais j’aime l’adrénaline, c’est comme un truc d’alpinisme. J’ai du mal à dire non quand les choses deviennent un pari, que c’est risqué. En plus, j’ai trois films présentés, ça va être intense !

« Quand l’intention est pure, il n’y a pas de vulgarité »

Laurent Lafitte

Est-ce un rôle à part entière ou y a-t-il vraiment beaucoup de vous ?
Les deux. Je le considère comme un rôle car, dans la vie, je n’aime pas particulièrement prendre la parole. De plus, le petit discours d’ouverture ressemble un peu à du stand-up et ce n’est pas mon énergie. Mais c’est aussi une parole que je vais devoir endosser à titre personnel. Avec légèreté toujours, il ne faut pas en faire une tribune.

Élégance et irrévérence vont-elles de pair ?
Ça fait passer la pilule. Il faut éviter la vulgarité. Mais quand l’intention est pure, il n’y a pas de vulgarité.

La perspective d’éventuels happenings ou interventions extérieures vous amuse ou vous inquiète ?
Ça arrive plus aux César. J’avais participé à l’écriture de la cérémonie animée par Marina Foïs. Corinne Masiero a décidé de ne pas du tout respecter ce qu’on avait écrit au profit d’une intervention très politique et très trash. C’est du direct, du spectacle vivant. Mais Cannes reste une soirée très produite, très maîtrisée.

Quelle est l’importance de ce genre de cérémonie pour le 7e art ?
C’est surtout le festival qui est important. Il faut créer un événement qui annonce le début des festivités, comme pour les JO. On se retrouve entre passionnés de cinéma, d’un certain cinéma, difficile à financer, à faire rayonner. Cannes est un écrin.

La reconnaissance de vos pairs vous importe ?
C’est un ego trip donc ce n’est pas très intéressant. Le réflexe reptilien d’être validé par ses pairs, ça fait plaisir. J’ai été nommé trois fois aux César, je suis toujours content, mais je ne l’ai pas eu. Cinq minutes après, je m’en moque. Là, j’ai trois longs métrages sélectionnés, j’en suis ravi. La femme la plus riche du monde de Thierry Klifa, Marcel et Monsieur Pagnol de Sylvain Chomet et Classe moyenne d’Anthony Cordier. Je sais que les œuvres vont être magnifiées. Il ne faut pas s’amuser à casser la machine de célébration du cinéma.

« J’ai découvert l’émulation, la tension des projections. Le public, comme à l’opéra, est très expressif. Il soutient ou hurle de façon véhémente »

Laurent Lafitte

Votre meilleur et votre pire souvenir de Cannes ?
Le pire, c’est ma première fois, j’étais très jeune, 20 ans, sans accréditation, j’y suis allé en fan de cinéma en espérant me faufiler. Mais c’était plutôt un enchaînement de micro-humiliations ! Le très bon, c’est la projection du film de Verhoeven. C’était la première fois que j’accompagnais un long métrage en compétition et j’ai découvert l’émulation, la tension des projections. Le public, comme à l’opéra, est très expressif. Il soutient ou hurle de façon véhémente.

Quelle personnalité serez-vous le plus heureux de rencontrer cette quinzaine ?
Je suis admiratif du travail de Juliette Binoche, présidente du jury, que je ne connais pas. Et nous remettons une palme d’honneur à Robert de Niro. C’est une des figures qui m’a donné envie de faire ce métier et m’a fait réfléchir sur la manière de le faire.

Et si vous recevez le prix d’interprétation ?
Je ne peux pas, mes films ne sont pas en compétition !

D’un festival l’autre, quel souvenir gardez-vous de la présentation de Tapie  à Canneséries ?
C’est toujours bizarre de ne montrer que deux épisodes. C’est un peu comme une longue bande-annonce, c’est frustrant. Mais j’étais content d’avoir des retours et de sentir qu’au niveau de l’incarnation le public y croyait. Ça m’a rassuré.

Que vous reste-t-il du personnage ?
Les personnages ne me poursuivent pas, j’ai la même image de Tapie qu’avant de l’avoir interprété. Je retiens le plaisir d’acteur. C’est un personnage très théâtral. On peut en faire des caisses, j’adore ! Comme dans le film de Klifa, mon personnage, très librement inspiré de François-Marie Banier, est extrêmement volubile. J’aime pouvoir y aller à fond !

« César, dans Astérix, est un grand méchant, très théâtral. Il faut pousser le jeu assez loin pour être au niveau de l’énergie de l’animation »

Laurent Lafitte

Vous avez dû vous faire plaisir en prêtant votre voix à César dans Astérix & Obélix : le Combat des chefs  !
C’est un grand méchant, comme les méchants de Disney, c’est très théâtral. Quand on enregistre les voix, si on reste dans un naturalisme cinématographique, ça paraît tout plat. Il faut pousser le jeu assez loin pour être au niveau de l’énergie de l’animation.

Quels sont vos projets ?
J’écris mon prochain long métrage, l’adaptation du roman d’Abel Quentin, Le voyant d’Etampes. Et je jouerai Zaza dans La Cage aux folles à partir du 5 décembre au théâtre du Châtelet, une comédie musicale, un classique de Broadway, sous la direction d’Olivier Py.

Un rôle dont vous rêvez ?
Platonov ou Ivanov. Je n’ai jamais joué Tchekhov…