Notre critique de Vermiglio ou La Mariée des montagnes: l’éloge de la lenteur
Quel bruit fait la neige en tombant ? Le silence règne dans ce village perdu des Alpes. La Seconde Guerre mondiale tire à sa fin. Dans le Trentin, elle semble lointaine, presque inexistante, à peine suggérée par le passage d’un avion dans le ciel. À Vermiglio, la vie continue comme il y a des siècles. Il faut traire les vaches, compter les pommes de terre. Les provisions manquent, en cet hiver 1944.
L’instituteur constitue le pivot de cette communauté rurale. Sa femme est perpétuellement enceinte. La famille se compose de sept enfants, six filles et un garçon en lequel le père ne se reconnaît pas vraiment. « Être adulte, ça n’est pas seulement boire du vin », lui assène-t-il en public. Le patriarche aux cheveux et à la moustache blancs joue un rôle égal à celui du prêtre. Les cours pour adultes ont lieu le samedi après-midi. Les rituels rythment les semaines. Il y a la messe, que personne ne songerait à rater, la procession où l’on honore la Vierge locale, les chants traditionnels qui résonnent dans le paysage blanc, si blanc. Ne pas oublier la confession, qui est une étape obligée de la vie.
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Le soir, les filles chuchotent dans leur lit. Elles se serrent sous les draps. Tout le monde a ses secrets. Le maître d’école garde des photos licencieuses dans un tiroir. Une des sœurs a un penchant pour une voisine délurée. Une autre fond pour le déserteur sicilien qui s’est réfugié dans la grange. Les regards qu’ils échangent dans l’église ne trompent pas. Les anciens estiment que ce soldat est un lâche, même s’il a sauvé l’oncle de Lucia.
Simplicité majestueuse
Un nouveau-né meurt. L’événement est montré avec une grâce infinie. Le père écoute avec profondeur des disques sur son gramophone. Le plaisir qu’il prend à faire écouter aux paysans Les Quatre Saisons de Vivaldi saute aux yeux. Son épouse trouve que cet argent aurait dû acheter plutôt de quoi remplir le garde-manger. La réponse ne traîne pas : « C’est de la nourriture pour l’âme. » Le point de vue se défend. Ce mot d’âme vient bien à sa place.
Des sentiments inédits bouleverseront la routine ancestrale. Il y aura un meurtre, des mensonges et de la tristesse. Ici, on est loin de tout. Les images de Maura Delpero (Maternal ) traduisent cet isolement avec une simplicité majestueuse. Vermiglio ou La Mariée des montagnes s’inscrit dans la lignée de L’Arbre aux sabots, d’Une vie cachée . La beauté n’est pas un vain mot. La lenteur exerce son emprise. On a parfois le droit d’être contemplatif. Le hameau reculé devient le théâtre de toutes les émotions. Elles s’expriment sans tintamarre, avec un calme, une sérénité qui envoûtent.
Une fois de temps en temps, il est bon, il est sain de penser à autre chose qu’à des hold-up, des poursuites de voitures, des super-héros en combinaison moulante. C’est toute une histoire. Vermiglio, chose grande et magnifique, prouve que le cinéma remonte à la nuit des temps, qu’il sait donc montrer le temps et la nuit, chercher les clés d’un abîme intérieur, traduire les révoltes tues. Faites passer. On sort de là un peu moins bête, l’esprit dans les montagnes.
La note du Figaro : 3/4