La gouvernance de la bande de Gaza, grande inconnue de l'accord de cessez-le-feu
Si les négociateurs réunis à Doha sont parvenus, mercredi 15 janvier, à trouver un accord sur un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza et un échange d'otages retenus dans l'enclave palestinienne contre des prisonniers palestiniens incarcérés en Israël, aucun d'entre eux n'a fait état de discussions portant sur la gouvernance de Gaza après la guerre. Cette question cruciale reste en suspens et risque de provoquer à court terme de nouvelles tensions.
Car sur ce point précis, la donne n'a pas changé côté israélien. Benjamin Netanyahu, qui a juré d'anéantir le Hamas en réponse aux attaques terroristes du 7 octobre 2023, continue d'exclure toute perspective de retour au pouvoir du mouvement islamiste palestinien à Gaza.
Après avoir remporté les élections législatives de 2006, le Hamas a saisi, en 2007, le pouvoir par la force dans le territoire palestinien, au dépens de l'Autorité palestinienne, chapeautée par le Fatah du président Mahmoud Abbas.
Depuis le début de la guerre, le gouvernement de Benjamin Netanyahu, dominé par l'extrême droite, n'a eu de cesse d'afficher ses divisions sur la question de l'après-guerre à Gaza. Certains ministres, comme le très radical Bezalel Smotrich, sont allés jusqu'à évoquer "le retour d'une présence civile juive" dans ce territoire palestinien.
Début janvier 2024, le ministre de la Défense Yoav Gallant, limogé depuis pour divergences de vues avec Benjamin Netanyahu, avait tout de même présenté un plan prévoyant que l'armée israélienne se réserverait le droit de mener des opérations dans la bande de Gaza… comme elle le fait actuellement en Cisjordanie occupée.
"Le Hamas ne gouvernera pas Gaza et Israël ne gouvernera pas les civils de Gaza. Les habitants de Gaza étant Palestiniens, ce sont des organes palestiniens qui seront en charge (...), avait-il déclaré dans un communiqué. L'entité qui contrôlera le territoire s'appuiera sur les capacités du mécanisme administratif existant [comités civils] à Gaza". Un plan excluant de facto une gouvernance de l'Autorité palestinienne… pourtant défendue par les États-Unis.
Gouvernement militaire ? Tutelle étrangère pour distribuer de l'aide humanitaire à la population gazaouie ? La question de la gouvernance de Gaza est tellement sensible pour l'équilibre de son gouvernement, que Benjamin Netanyahu, fermement opposé à un retrait total des troupes de Gaza, a jusqu'ici refusé de la trancher, quitte à entretenir le flou sur ses intentions.
Selon la presse israélienne, il a même raillé l'idée même de le remplacer le Hamas par une coalition arabe intérimaire, une perspective que plusieurs pays du Golfe, dont l'Arabie saoudite et le Qatar, mais aussi l'Égypte, la Jordanie et l'Autorité palestinienne avaient tous validé, a déclaré "pas avant la victoire totale et l'éradication" du mouvement palestinien.
À lire aussiCessez-le-feu à Gaza : un accord "sur le point d'être conclu", mais pourquoi maintenant ?
Trump assure qu'il ne laissera pas Gaza devenir un "refuge pour terroristes"
L'administration américaine, elle, a exprimé à plusieurs reprises, et ce dès novembre 2023, son exigence de voir une bande de Gaza "qui ne serait jamais plus dirigée par le Hamas", ni utilisée "comme plateforme pour le terrorisme ou d'autres attaques violentes".
Le mouvement islamiste palestinien est considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et par l'Union européenne. Mardi, le secrétaire d'État américain sortant, Antony Blinken, a réaffirmé que ce principe était essentiel pour parvenir à "une paix durable".
"Cela fait des mois que nous travaillons intensément avec nos partenaires pour élaborer un plan post-conflit détaillé qui permettrait à Israël de se retirer complètement de Gaza, empêcherait le Hamas de s'y réinstaller et assurerait la gouvernance, la sécurité et la reconstruction de Gaza", a-t-il ajouté devant le Conseil de l'Atlantique, à Washington.
Il a précisé à quelques jours du retour de l'imprévisible Donald Trump à la Maison Blanche, que ce sera à la nouvelle administration "de le faire avancer".
Quelques minutes après l'annonce de l'accord trouvé à Doha, le milliardaire républicain, qui sera investi le 20 janvier, a annoncé qu'il travaillera avec Israël et ses alliés "pour s'assurer que Gaza ne devienne jamais un refuge pour les terroristes". Sa future administration n'a pas dévoilé ses intentions sur la gouvernance à Gaza, ni son point de vue sur le plan Biden.
Une Autorité palestinienne "entièrement réformée"
Ce plan, qui vise à terme à ce que l'Autorité palestinienne remplace le Hamas, prévoit, selon Anthony Blinken, "l'unification de Gaza et de la Cisjordanie sous l'Autorité palestinienne; aucune occupation militaire israélienne de Gaza ni réduction du territoire de Gaza [pas de colonies israéliennes, NDLR], aucune tentative après le conflit de l'assiéger ni de le bloquer, et aucun déplacement forcé de la population de Gaza".
"L'Autorité palestinienne devrait inviter des partenaires internationaux à l'aider à mettre en place et à gérer une administration intérimaire responsable des secteurs civils clés à Gaza (...), a détaillé Anthony Blinken mardi. La communauté internationale fournirait le financement, l'assistance technique et la supervision".
Selon lui, cette administration intérimaire comprendrait "des Palestiniens de Gaza et des représentants de l'Autorité palestinienne, choisis après une consultation véritable avec les populations de Gaza". Pour Washington, cette administration intérimaire devra transférer le pouvoir "à une administration de l'Autorité palestinienne entièrement réformée, dès que cela sera possible".
À voir aussiUn accord de cessez-le-feu à Gaza pour mettre un terme à 15 mois de guerre entre Israël et le Hamas
Les puissances occidentales, dont les États-Unis et la France, ainsi que plusieurs pays arabes comme le Qatar, pressent Mahmoud Abbas de réformer une Autorité palestinienne, devenue impopulaire et minée par la corruption. Un chantier loin d'avoir été lancé par le président palestinien, dont le mandat de président a expiré depuis 2009 et qui, à 89 ans, s'accroche toujours au pouvoir.
"Nous sommes le gouvernement de la Palestine"
Malgré un pouvoir contesté et limité en Cisjordanie occupée, un territoire en proie à une multiplication des opérations militaires israéliennes et à la pression accrue des colons, l'Autorité palestinienne exclut elle aussi tout retour en arrière à Gaza qui serait favorable au Hamas.
Mercredi 15 janvier, en marge d'une réunion à Oslo, le Premier ministre palestinien Mohammad Mustafa a déclaré qu'il "ne sera pas acceptable" qu'une entité autre que l'Autorité palestinienne dirige la bande de Gaza à l'avenir. "Nous sommes le gouvernement de la Palestine, prêt à assumer nos responsabilités dans la bande de Gaza comme nous le faisions auparavant", a ajouté Mohammed Mustafa.
Plaidant pour "une solution politique pour l'ensemble de la Palestine", et donc pas seulement pour Gaza, l'Autorité palestinienne espère ressusciter le processus menant à un État palestinien indépendant… une perspective totalement exclue par Benjamin Netanyahu et ses alliés au sein du gouvernement.
Le Hamas toujours incontournable ?
La question de la gouvernance reste totalement ouverte, et selon le quotidien Haaretz, le scénario le plus optimiste prévoit un calme durable à Gaza et un effort international de reconstruction financé par les puissances pétrolières du Golfe en échange de l'abandon du pouvoir par le Hamas.
Quel que soit le scénario, tout dépendra à la fois de la volonté du pouvoir en Israël à faire des compromis, des projets pour la région de Donald Trump, qui rêve "d'étendre davantage les accords historiques d'Abraham", mais aussi des acteurs palestiniens eux-mêmes. De l'Autorité palestinienne en perte de légitimité, et du Hamas, qui est loin d'avoir été éliminé de Gaza.
Le 7 janvier, la presse israélienne rapportait même qu'il continuait d'exiger un rôle dans la gouvernance de Gaza après la guerre comme condition préalable à tout accord sur la libération des otages israéliens. Lundi, cinq soldats israéliens ont été tués à Beit Hanoun, dans le nord du territoire côtier. Huit autres ont été gravement blessés.
Affaibli par le pilonnage de l'armée israélienne et les assassinats ciblés ayant visé leurs chefs Yahya Sinouar et Ismaïl Haniyeh, le Hamas semble toujours être le seul maître à bord à Gaza. En effet, le mouvement islamiste a mené les négociations à Doha et reste l'interlocuteur du gouvernement israélien pour mener à bien les trois phases de l'accord conclu mercredi.
À voir aussiCessez-le-feu à Gaza : "lueur d'espoir ou nouveau mirage ?"
Selon Anthony Blinken, il serait même parvenu a reconstituer presque entièrement ses forces perdues depuis octobre 2023. "Nous estimons que le Hamas a recruté presque autant de nouveaux militants qu'il en a perdu", a révélé le secrétaire d'État américain mardi. "C'est là la recette d'une insurrection durable et d'une guerre perpétuelle."
En attendant la mise en place d'une autorité administrative capable de gouverner Gaza dans les prochains mois, l'armée israélienne devrait, dans les 60 jours qui viennent, se retirer progressivement des zones densément peuplées, du corridor de Netzarim, qui coupe le territoire palestinien en deux, pour permettre le retour des déplacés, ainsi que du corridor de Philadelphie à la frontière égyptienne.
Le retrait complet israélien de Gaza ne devrait intervenir qu'au terme de la deuxième phase du plan dévoilé hier. La question de la reconstruction et de la gouvernance de Gaza n'est, elle, au programme que lors d'une hypothétique troisième phase.
À lire aussiDes milliers de Palestiniens exultent à travers la bande de Gaza à l'annonce de l'accord de trêve