Bruxelles: quand Von der Leyen roule pour l’Allemagne
Gérard Le Puill
En choisissant d’aller à Montevideo le 6 décembre pour signer l’accord de libre-échange avec les cinq pays du Mercosur, la présidente de la Commission européenne a montré qu’elle privilégie les désirs exprimés par le gouvernement allemand, elle qui fut ministre à plusieurs reprises quand Angela Merkel était chancelière.
Comme nous le révélions dans un article publié ici-même le 6 décembre, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’est rendue à Montevideo ce jour-là pour signer l’accord de libre-échange longuement négocié avec les pays du Mercosur en 2019. Arrivée là-bas, la présidente de nationalité allemande a fait savoir qu’elle ne serait pas présente à Paris pour la réouverture de la Cathédrale de Paris où se trouvait le chancelier allemand Olaf Scholz en compagnie de Donald Trump et de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement. L’Allemagne est favorable à cet accord grâce auquel elle espère vendre plus de produits industriels en Amérique du sud. De son côté l’Espagne espère que cet accord lui permettra d’importer toujours plus de soja et de céréales d’Amérique du sud pour exporter plus de viande porcine en Europe et au-delà en contribuant à faire croître la déforestation en Amazonie.
En France, le président Macron a préféré occulter le sujet ces derniers jours. Il fut pourtant interpellé, une fois de plus, le 6 décembre par la Fédération Nationale Bovine (FNB) de la FNSEA qui affirmait dans un communiqué que le chef de l’État doit « déclarer son opposition à cet accord en le notifiant immédiatement à Bruxelles ». De son côté, le syndicat Jeunes Agriculteurs indiquait le même jour qu’il utilisera « tous les moyens au niveau européen pour que cet accord ne soit pas ratifié, ni par le conseil des ministres des 27, ni par le Parlement européen, ni par les parlements nationaux ».
Une promesse de Macron non tenue depuis 2017 !
Ces derniers mois, le président Macron se contentait de dire que l’accord entre l’Europe et le Mercosur ne pouvait pas être approuvé par la France « en l’état ». Une posture pouvant changer pour déboucher sur un « et en même temps » souvent utilisé par le chef de l’Etat. Selon la promesse délibérément trompeuse qu’il fit aux paysans le 11 octobre 2017 sur les Marché d’Intérêt National (MIN) De Rungis, le gouvernement, dirigé à l’époque par Edouard Philippe, allait modifier la loi « pour inverser cette construction des prix qui doit pourvoir partir des coûts de production ». Evoquant dans le même discours les négociations annuelles entre les grandes enseignes et leurs fournisseurs sur les volumes de produits à fournir et les prix d’entrée en magasin, le chef de l’Etat ajoutait : « je souhaite que les négociations commerciales qui commencent dès novembre puissent refléter l’esprit de la loi à venir et faire l’objet d’un engagement de toutes les parties à ces négociations sous l’autorité des ministres ».
Sept ans plus tard, après les votes de trois versions successives de la loi Egalim par les parlementaires français, le rapport des sénateurs Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, rendu public le 20 novembre 2024, constate qu’après deux années de négociations commerciales tendues la logique de « marche en avant » des prix agricoles ne fonctionne toujours pas lors des négociations annuelles entre les enseignes et leurs fournisseurs. Pire encore, les deux rapporteurs constatent un recul des marques des entreprises françaises de l’agroalimentaire dans les rayons des grandes surfaces au profit des « Marques De Distributeurs » (MDD) souvent fabriquées à partir de matières premières importées.
Des centrales d’achat délocalisées hors de France par les enseignes
Ainsi donc, des filets et des cuisses de poulets importés d’Ukraine et du Brésil sans droits de douanes sont vendus chez Auchan, Carrefour, Leclerc et d’autres sous des marques de distributeurs et font reculer la place des poulets élevés en France dans les linéaires. Il en va de même pour la viande bovine, ovine et porcine, comme pour de nombreux produits élaborés, laitiers et autres, prêts à être consommés. Le rapport des deux sénateurs constate que, pour échapper à la loi française, ces grandes enseignes ont délocalisé leurs centrales d’achat dans d’autres pays membres de l’Union européenne. Leclerc dispose de la centrale d’achat Eurelec -Trading basée en Belgique. Carrefour a regroupé ses six filiales au sein d’Eureca basé en Espagne. Auchan, Intermarché et Casino ont rejoint la structure Everest aux Pays Bas.
Cité en page 22 du Figaro daté du 4 décembre, un avocat qui assiste des petites et moyennes entreprises de l’agroalimentaire face à la pression des grandes enseignes lors des négociations annuelles sur les prix déclarait à ce propos : « on peut raisonnablement penser que pour faire pression les distributeurs menacent ensemble de déréférencer les produits». Dans ces enseignes, c’est une façon de dire aux fournisseurs: ou vous baissez vos prix, quitte à vendre à perte, ou nous réduisons nos achats chez vous pour 2025. Tenir ce langage à Lactalis est impossible en raison des gros volumes de produits que la première entreprise laitière au monde transforme dans notre pays. Mais cette menace représente un danger que Jérôme Foucault, président de Pact’ Alim, qui regroupe 3.000 PME de l’agroalimentaire, résume en ces termes : « Au nom d’un traitement différencié des grandes entreprises internationales, on met aussi en péril les entreprises de transformation des filières agricoles, qui transforment et vendent en France ».
Cette crainte est confirmée par le rapport du Sénat qui constate un recul des produits français dans les rayons des grandes surfaces, remplacés par des produits importés qui coûtent un peu moins mais font croître le déficit de notre commercer extérieur tandis que des prix trop bas ruinent nos producteurs.