Notre critique de Je suis toujours là, une ode brésilienne à la résistance

Treize ans qu’il n’avait plus donné signe de vie. Après sa décevante adaptation de Sur la route d’après Jack Kerouac en 2012, revoilà le cinéaste brésilien Walter Salles avec Je suis toujours là . Cette fois, il retrouve les sentiers balisés de son adolescence brésilienne et réussit une fresque historique captivante qui revisite les plus sombres heures de la dictature militaire de son pays entre 1965 et 1985.

Basé sur des faits tragiques et avérés, Je suis toujours là commence par une plongée insouciante lors d’un été bohème du début des années 1970. La fraîcheur de l’océan, la joie légère et contagieuse d’une grande famille de la haute bourgeoisie de Rio de Janeiro qui profite de la chaleur du sable fin en jouant au beach-volley. Le tout capté par la caméra Super 8 de l’aînée qui rêve de devenir cinéaste.

Rubens Paiva, le père, est un ancien député travailliste, architecte en vue, aussi gouailleur que passionné. Sa femme, Eunice (Fernanda Torres), a choisi d’arrêter ses études pour se consacrer à sa vie de famille. Leurs cinq enfants songent vaguement à leur avenir, mais préfèrent s’égayer sur le rivage. Le soir venu, la tribu remonte se changer dans la grande maison qui se trouve à quelques mètres du littoral dans les quartiers chics d’Ipanema. On danse, on se chamaille et l’on rit en écoutant les tubes du moment sur la platine vinyle.

Le visage de la résistance

L’atmosphère est chaleureuse jusqu’à l’arrivée brutale d’un groupe de miliciens en blouson de cuir. En quelques instants, la demeure grouille, les rideaux sont tirés. Le symbole est fort. On cache ses sordides méfaits aux yeux du monde. La scène fonctionne comme un électrochoc. L’ancien député est convoqué de manière arbitraire. Le film bascule. Son épouse sera arrêtée mais relâchée cinq jours plus tard. S’ensuivront l’obligatoire évacuation du domicile familial et l’installation à São Paulo. 

La métamorphose d’Eunice Paiva débute alors. C’est dans le fond ce qui passionne Walter Salles. La mère de famille reprend ses études d’avocate pour lutter contre ce régime autocratique orwellien. Tandis que la junte utilise la torture, la terreur et les enlèvements pour mieux museler la vérité, cette femme brésilienne devient progressivement le visage de la résistance. Eunice Paiva se dresse contre la dictature à sa manière, avec toute sa détermination, sa générosité, sa tendresse, sa combativité et son intelligence. 

Une femme lumineuse et ardente

Au fil des décennies, la caméra méticuleuse de Walter Salles s’accroche à la figure de proue de cette héroïne en pleine tempête. C’est elle qui ressuscite la bonne humeur dans la maisonnée. Elle qui chasse la peur par le rire, elle qui empêche les illusions de s’effondrer. Des reporters interrogent la famille sur le drame. Lorsque le photographe veut prendre un cliché familial affligé, elle se rebelle : « Non, dit-elle. Nous n’allons pas donner l’image d’une famille triste. Nous allons sourire ! »

Au fil des décennies, la caméra méticuleuse de Walter Salles s’accroche à la figure de proue de cette héroïne en pleine tempête. C’est elle qui ressuscite la bonne humeur dans la maisonnée

Portrait d’une femme lumineuse et ardente, le film de Walter Salles montre Eunice Paiva dans toute sa droiture et sa résilience. L’épouse bienveillante s’est muée en une pasionaria militante, inflexible et déterminée en quête d’une seule vérité qui l’obsède, ce fameux avis de décès de son mari qu’elle finira par obtenir en 1996.

À la Mostra de Venise, Je suis toujours là a été récompensé par le prix du meilleur scénario. Au Brésil, ce film phénomène a séduit plus de 3 millions de spectateurs. L’actrice Fernanda Torres vient de remporter le Golden Globe de la meilleure actrice au nez et à la barbe des favorites, Nicole Kidman et Angelina Jolie. Qui sait si les Oscars ne vont pas à leur tour succomber au charme de cette ode brésilienne à la résistance ?