Angleterre : «Il est là à très court terme», Thomas Tuchel, un sélectionneur étranger pour viser la Coupe du monde

«Trois millions pour trois mois de votre temps.» Comme Gustavo Fring à Walter White dans la série à succès Breaking Bad, la Fédération anglaise de football (FA) a offert un pont d’or à Thomas Tuchel pour une mission sans lendemain : gagner la Coupe du monde 2026. Après deux finales de suite perdues à l’Euro (contre l’Italie en 2021, contre l’Espagne en 2024), Gareth Southgate a démissionné de son poste de sélectionneur en juillet.

«Il a changé la culture, salue Henry Winter, journaliste réputé et ancien chef de la rubrique football du Times. Mais il y avait une perception générale qu’il n’avait pas l’intelligence tactique élite pour faire basculer un match dans les dernières minutes.» L’Angleterre a dû digérer la fin d’un mandat de huit ans, laissant l’intérim à Lee Carsley, sélectionneur des moins de 21 ans, avant de nommer Tuchel en octobre.

Tuchel capable d’être «un peu dur avec les joueurs, un peu méchant, arriviste»

«Ça a été une surprise parce que ce n’était pas un sélectionneur, décrit Julien Laurens, journaliste français basé à Londres pour RMC ou ESPN. Mais sa réputation en tant qu’entraîneur de Chelsea était très bonne.» Un mois après son limogeage en décembre 2020 du PSG, qu’il avait hissé en finale de la Ligue des champions, le coach allemand avait rebondi à Chelsea, alors en crise. Quatre mois plus tard, il soulevait la coupe d’Europe avec le club londonien.

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Sa dernière expérience contrastée au Bayern Munich (2023-24) n’entache en rien sa réputation. Tuchel, 51 ans, est un tacticien hors pair à la poigne de fer. «S’il faut être un peu dur avec les joueurs, un peu méchant, arriviste, il le sera», appuie Laurens. Le candidat idéal pour une mission «à très court terme. Il ne va rien construire du tout, c’est dans l’immédiat pour gagner tout de suite», poursuit-il.

Tuchel est là pour finir le boulot entamé par Southgate et dépoussiérer l’armoire à trophées, fermée depuis un unique sacre mondial en 1966. Un bilan bien maigre pour le pays qui a inventé le football. Certains observateurs sont d’ailleurs restés coincés à cette époque.

«J’aurais préféré un sélectionneur anglais, mais...»

«Un jour sombre pour l’Angleterre»a titré le Daily Mail, journal conservateur, le jour de la nomination de Tuchel, ulcéré qu’un étranger, surtout un Allemand, hérite du poste. «Dans une mentalité très anglaise, ce côté nationaliste a pris le dessus», pointe Laurens. «Qu’est-ce que cela dit de notre noyau d’entraîneurs ? Quelle insulte, quelle ignorance et quel manque de vision impardonnable. L’Espagne ou la France feraient-ils cela ?», s’est écrié le Daily Mail.

«Je préférerais un sélectionneur anglais, mais il n’y a pas le talent», oppose Henry Winter. Harry Redknapp, ancien entraîneur âgé de 78 ans, a publiquement estimé qu’Eddie Howe, en poste à Newcastle, aurait été un meilleur candidat. «J’aurais préféré un Anglais mais quitte à prendre un étranger, autant prendre le meilleur et Thomas l’est certainement», jugeait Howe en octobre dernier.

En Allemagne, la situation prête au chambrage. «Le désespoir doit être énorme s’ils reconnaissent que seul un Allemand peut les aider», s’est moqué le quotidien Bild. La rivalité entre les deux nations est féroce depuis la finale (polémique) du Mondial 1966, suivie de nombreux chocs, le dernier à l’Euro 2021 remporté par l’Angleterre (0-2 en 8es de finale).

Les fans qui suivent la sélection à chaque match le soutiennent beaucoup.

Henry Winter, journaliste anglais réputé et ancien chef de la rubrique football du Times.

«Je suis désolé de n’avoir qu’un passeport allemand», a ironisé avec bienveillance Tuchel dans un anglais parfait. Le regard acerbe de certains médias, plus curieux de savoir s’il chantera l’hymne national que de sa philosophie de jeu, n’est toutefois pas le reflet exact de celui du peuple anglais. «Les fans qui suivent la sélection à chaque match le soutiennent beaucoup, dévoile Winter. D’autant qu’ils ont vu des managers très patriotiques, comme Kevin Keegan, faire de très mauvais résultats.»

Les deux seuls autres sélectionneurs étrangers que l’Angleterre a connus, le Suédois Sven-Göran Eriksson (2001-06) et l’Italien Fabio Capello (2007-12), n’ont pas non plus laissé de souvenirs impérissables. Tuchel n’aura pas le temps de cogiter, lui qui, sauf surprise, ne sera plus là quoi qu’il arrive après le 19 juillet 2026, date de la finale du Mondial qu’il vise. Avec, à la clé, si les planètes s’alignent, le jackpot.

3,5 millions d’euros en cas de victoire au Mondial 2026

Selon The Sun, l’ancien entraîneur du PSG toucherait un salaire annuel de 6 millions d’euros, et aurait surtout le droit à une prime de 3,5 millions en cas de victoire à la Coupe du monde. Sans parler du «statut de génie et d’icône absolue» que lui réserverait toute la nation, anticipe Laurens.

Dans sa première liste de 26 joueurs, l’Allemand a coché les noms des vedettes Jude Bellingham, Harry Kane et Phil Foden. Il a aussi fait la part belle à l’expérience, à l’image de Kyle Walker et Jordan Henderson, 34 ans tous les deux, absents de l’Euro 2024 mais inclus dans cette mission commando d’un an et demi. Elle commence ce vendredi (20h45), pour le premier match des éliminatoires face à l’Albanie, à Wembley.