L’Organisation météorologique mondiale a déclaré mardi s’attendre à une situation catastrophique en Jamaïque, alors que l’ouragan Melissa touchait terre avec des rafales de vent dépassant les 300 kilomètres à l’heure, des crues soudaines et des glissements de terrain. « Ouragan » pour l’Atlantique et le Pacifique Nord, « cyclone » pour l’océan Indien ou « typhon » dans le nord-ouest du Pacifique : tous ces mots désignent un même fléau, le plus violent et destructeur des phénomènes météorologiques que peut connaître la planète. Cet enroulement nuageux tourbillonnant prend naissance au-dessus des eaux chaudes des régions tropicales. « Il tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère Nord , et inversement dans l’hémisphère Sud, nous expliquait récemment Régis Crêpet, météorologue à La Chaîne Météo*. Ceci est lié à la force de Coriolis due à la rotation de la Terre » qui agit sur tous les fluides en mouvement à la surface de la planète, dans l’océan ou l’atmosphère. Pour cette raison d’ailleurs, un ouragan ne traverse jamais l’Équateur pour passer d’un hémisphère à l’autre.
Comment naît un ouragan ?
Chaleur et humidité sont les deux carburants d’un ouragan. Il se forme au-dessus des grandes surfaces d’eau comme les océans et les mers, ce qui lui permet d’emmagasiner une énorme quantité d’humidité – cela serait par exemple impossible au-dessus de la Manche, trop petite et trop fraîche. Comme le phénomène a besoin d’eau relativement chaude, c’est dans les zones intertropicales qu’il prend naissance. « La température de l’océan doit être élevée dans les 60 premiers mètres pour permettre une évaporation intense, donc un transfert d’humidité de l’océan vers l’atmosphère », indique Météo France. Une autre raison rend la zone intertropicale particulièrement propice, souligne Régis Crêpet : « De part et d’autre de l’Équateur, les vents sont bien plus faibles qu’aux hautes latitudes. » Paradoxalement, l’absence de vent permet à l’ouragan de se développer en toute liberté et de former ces énormes amas de nuages.
Passer la publicité« Cette masse d’air océanique chaude et chargée d’humidité se rafraîchit en prenant de l’altitude et provoque un phénomène de condensation, détaille le météorologue. En s’amoncelant, les nuages orageux font baisser la pression atmosphérique en surface et viennent s’enrouler autour d’un cœur dépressionnaire, prenant ce mouvement rotatif dû à la force de Coriolis. C’est ce qu’on appelle la cyclogenèse. » Les ouragans peuvent s’étendre sur 500 à 1000 kilomètres. Au cœur de ce système apparaît l’œil de l’ouragan, une zone de vide, sans nuage, sans vent, autour de laquelle tournent les nuages. C’est au niveau du mur de nuages tout autour de l’œil (qui peut atteindre 15 kilomètres d’altitude) que la rotation est la plus rapide et que les vents sont les plus forts et les plus dévastateurs.
Comment sont classés les ouragans ?
L’intensité des ouragans est mesurée sur l’échelle de Saffir-Simpson, qui compte 5 stades déterminés par la moyenne sur une minute de la vitesse des vents maximums enregistrés à 10 mètres de hauteur. Et chaque passage à une catégorie supérieure correspond à une multiplication par quatre du potentiel de destruction. Ainsi, tout en haut de l’échelle, la catégorie 5 correspond à des vents de plus de 252 km/h pouvant provoquer des dégâts catastrophiques : destruction presque totale de toutes les maisons mobiles, chutes d’arbres et de poteaux électriques pouvant isoler des zones résidentielles entières et rendant la majeure partie de la zone inhabitable pendant des semaines, voire des mois.
Pourquoi finissent-ils par avancer ?
Au bout d’un certain temps, cette toupie nuageuse va se déplacer. Mais sa direction est très aléatoire et difficile à anticiper pour les modèles de prévisions météorologiques. Plusieurs facteurs vont jouer, note Régis Crêpet : « Un ouragan ne cherche pas à toucher terre. Son objectif, c’est de rester en vie le plus longtemps possible. » Il va ainsi « fuir » vers les eaux chaudes du large. « Mais au fur et à mesure qu’il grossit et prend de l’altitude, il va se retrouver happé, comme “tiré par les cheveux” par les grands courants atmosphériques d’altitude, indépendants de sa formation. L’ouragan va être emporté dans une direction qui, petit à petit, va s’affirmer. » Un ouragan avance relativement lentement (50 ou 60 km/h maximum) en comparaison des rafales dévastatrices qu’il renferme, qui peuvent dépasser les 250 km/h. Météo France rappelle qu’il peut aussi provoquer « une surélévation anormale du niveau de la mer, connue sous le nom de “marée de tempête”, le phénomène le plus meurtrier associé aux cyclones ». Celle-ci est liée au fait qu’un ouragan « aspire » vers le haut – c’est en effet une zone de dépression –, ce qui fait remonter le niveau de l’eau.
Comment les ouragans meurent-ils ?
Quand il touche terre, l’ouragan perd la source de son énergie : l’eau chaude. En quelques heures, les vents s’apaisent ; les pluies torrentielles en revanche peuvent durer plusieurs jours. L’ouragan peut aussi poursuivre sa trajectoire dans l’océan et remonter peu à peu vers des eaux plus fraîches. Sa puissance diminue alors progressivement et finit par évoluer en simple dépression tropicale.
Quel est l’impact du réchauffement climatique sur ce phénomène extrême ?
Le réchauffement climatique ne rend pas nécessairement les ouragans communs plus fréquents, et une récente étude tend à montrer qu’il n’a pas d’influence directe sur leur diamètre. En revanche, il les rend plus humides et plus venteux, en d’autres termes plus intenses. Le réchauffement climatique a en effet a un impact sur les deux carburants de l’ouragan : la chaleur et l’humidité. Il augmente la température de surface des océans, qui absorbent la très grande majorité de la chaleur piégée par les gaz à effet de serre. Un rapport de l’observatoire européen Copernicus sur l’état des océans, publié en 2024, indique que le rythme de réchauffement des océans a presque doublé depuis 2005. D’autre part, plus elle est chaude, plus l’atmosphère peut contenir de vapeur d’eau.
Passer la publicitéIl existe donc un lien très clair entre réchauffement et « augmentation de la proportion de cyclones tropicaux intenses » (catégorie 3 à 5) au cours des quatre dernières décennies, selon le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Dans un rapport publié en 2021, les experts du climat mandatés par l’ONU indiquent ainsi que « la proportion de ces cyclones de catégorie 4 à 5 sur l’échelle Saffir-Simpson » et la vitesse maximale des vents qui les accompagnent « augmentera avec la hausse du réchauffement planétaire ». Selon les scientifiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) aux États-Unis, avec un réchauffement de 2°C, la vitesse des vents des ouragans pourrait augmenter de 10 %.
À tel point que certains estiment que l’échelle de Saffir-Simpson, utilisée depuis les années 1970, est devenue obsolète car elle ne reflète plus la dangerosité potentielle des ouragans actuels et à venir. Dans une étude parue en février 2024 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs américains proposent d’ajouter une catégorie 6 à cette échelle, qui engloberait les ouragans dont les vents dépasseraient les 309 km/h, un seuil cohérent avec l’espacement des catégories précédentes. Cette catégorie correspondrait à des phénomènes absolument dévastateurs, comme l’a été l’ouragan Patricia qui a frappé la côte Pacifique du Mexique en octobre 2015 avec des vents atteignant 343 km/h. Il avait touché terre dans une zone montagneuse peu peuplée, ce qui avait permis d’éviter un bilan sévère.
* La Chaîne Météo appartient au Groupe Figaro.