Depuis Los Angeles
On connaît la Californie même sans la connaître. On s’y attendait, à ces énormes SUV filant sur l’autoroute au milieu de la ville sans fin, ces néons géants, ces palmiers maigres et immenses. On traverse Beverly Hills, Hollywood, puis voici soudain le Rose Bowl de Los Angeles, joli colisée moderne semi-enterré, au milieu de la commune de Pasadena. Les frères Gallagher, fondateurs d’Oasis embrouillés depuis seize ans et la séparation du grand groupe de la Britpop des années 1990, ont enfin « fait taire les armes » comme le raconte le marketing officiel, et suivent une tournée mondiale depuis le début de l’été. Après la Grande-Bretagne et avant l’Australie, et le reste de l’Europe programmé pour 2026, ils fêtent ce soir la fin d’une première étape américaine. Dans l’enceinte du stade, l’ambiance est bon enfant, des Anglais en exil, le teint rose, croisent des profils californiens bodybuildés ou augmentés. Le merchandising a fonctionné à plein : presque personne n’est sans son bob, son tee-shirt ou autre relique néo-nineties siglée « Oasis ». Ce soir nous attend un guilleret revival.
Passer la publicitéAprès des premières parties (Cast et Cage The Elephant) sympathiques, mais boudées par un public occupé à commander ses bières dans les multiples stands, le silence se fait. À 20h45 exactement, sans une seconde de retard sur le programme, une vidéo d’introduction est lancée sur les écrans géants. La foule crie, sans pouvoir couvrir Noël Gallagher et ses acolytes à la guitare, les fidèles Bonehead et Gem Archer, qui lancent les accords de Hello. Le son est phénoménal dans le stade, très fort mais parfaitement maîtrisé. Les coups de grosse caisse font vibrer le corps, émeuvent sans explication. La fosse saute en rythme, comme traversée par des vagues. Les gradins vibrent aussi. Et Liam Gallagher débarque tranquillement dans ce déluge de son, déambulant au ralenti comme un soldat suicidaire sur un champ de bataille. Quelle entrée ! La voix est assurée, gère sans problème les aigus, ce qui n’était plus le cas lors des tournées de la fin des années 2000, juste avant le split du groupe.
Cigarettes & Alcohol
Aucune pause pour souffler : avec Acquiesce et son chant en alternance, les deux frères célèbrent ensuite leur entente retrouvée. Il y a peu de discours entre les morceaux : bonsoir Los Angeles, j’aime beaucoup cet endroit, merci. Les tubes s’enchaînent et chacun est un petit triomphe. Morning glory, puis Bring It On Down, rarement joué, qui surgit comme un cadeau aux vieux fans, avec sa brutalité intacte. Cigarettes & Alcohol transforme le stade en bar géant, avec sa mélodie narquoise. La setlist ne varie pas depuis le début de la tournée, et se concentre sur les débuts du groupe, la Oasis mania de 1994 à 1998. Sur les écrans, des animations graphiques un peu trop léchées divertissent les spectateurs, mais enlèvent un peu de spontanéité au tout.
Après Supersonic et Roll with it, commence la pause du chanteur principal, et le traditionnel interlude de Noel seul au micro. Une vraie surprise tombe alors, au milieu du vacarme : Talk Tonight, titre acoustique légèrement tonifié pour l’occasion, gonflé d’une batterie et légèrement accéléré. L’histoire de la chanson remonte à la Californie d’il y a trente ans. Ici même, Oasis tentait de conquérir l’Amérique avec son premier album, Definitely Maybe. Après une énième embrouille fraternelle et un mauvais concert au Whisky a Go Go, temple rock sur Sunset Boulevard, le compositeur avait fui l’orage et trouvé refuge auprès d’une certaine Melissa Lim à San Francisco. Il lui avait écrit cette ballade lumineuse, gratitude en musique. Depuis, il répète avoir oublié jusqu’à au visage de l’intéressée... qui se trouvait dans la foule du Rose Bowl ce week-end. Que pouvait-elle penser, en entendant ce fantôme d’autrefois repris en chœur par quatre-vingt-dix mille inconnus ?
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Avec chaque chanson, Oasis oscille pour l’instant entre mélancolie et hargne. Liam revient pour D’you know what I mean, tube définitif, rebelle, et tout le monde copie sa légendaire attitude de scène, mains dans le dos, la tête relevée, insolente. Une large majorité de l’audience chante chacun des morceaux, ce qui tend à prouver que le mythe en formation est plus fort qu’une mode. L’avenir le dira, pour l’instant place au passé. Petite halte optimiste et plus gentille : Whatever, à nouveau parfaitement chantée. L’animation vidéo est simple, un pré d’herbe fraîche sur lequel Oasis nous fait reposer. Au moins un Français dans la foule se dit que la chanson a survécu à son utilisation en pub pour le Crédit Agricole voici quelques années. Les violons sont toujours aussi gracieux, malheureusement ajoutés en bande-son et non joués en live, ce que le groupe aurait dû se permettre. La chanson la plus pop d’Oasis, avec Wonderwall qui arrive bien sûr, n’a pas vieilli.
Nostalgie revendiquée
Comme semble-t-il partout dans le monde depuis la reformation, tout cela fonctionne à merveille, ce qui ravit le groupe qui qualifie sa propre tournée de «biblical». Ce soir les airs défilent toujours, la pleine lune est montée dans le ciel ; devant elle, il y a des jets privés qui passent en clignotant avant d’atterrir à Van Nuys. L’air est doux. Depuis la première note, personne n’a songé à s’asseoir. On prend des vidéos qu’on ne regardera sans doute pas, mais peu importe, on veut fixer le moment. Au tour de Live Forever. La chanson, qui reste la favorite des frères Gallagher, répondait à l’époque au désespoir grunge de Nirvana. Elle tombe toujours à point. Dans cette Californie de réseaux sociaux créés par de revendiqués asociaux, dans ce Los Angeles de solitude, où l’on croise des gens seuls dans leur taxi autonome, le duo britannique vient chanter que toi et moi, on va vivre pour toujours. Il brille par sa vie, son authenticité, malgré l’aspect éminemment commercial du retour. Avec Oasis, on magnifie une enfance ou une adolescence vécue dans un monde un peu plus simple. Faux ou vrai, le culte du souvenir et du temps qui ne passe pas est partout, et convainc toutes les foules réunies par le groupe depuis quelques mois : à croire que la prochaine révolution sera nostalgique.
Passer la publicitéVient le rappel. Toujours le même procédé. Rock N’ Roll Star semble confirmer le grand retour du style musical. Wonderwall se passe de commentaire puisque même vous, oui vous, lecteur sexagénaire du Figaro, plutôt versé musique classique et perdu dans ce compte rendu de concert, vous l’avez sûrement entendue et peut-être fredonnée, tant l’air est entêtant. Elle est passée sur toutes les radios du monde, elle a lassé, on a cru l’oublier, et puis on la réécoute après quelques années, et décidément non, elle est bien inoubliable. Elle reprend désormais du service comme ambassadrice officielle des années 1990 sur le retour. À la fin de Champagne Supernova, un feu d’artifice éclate derrière la scène, pendant que les artistes tirent leur révérence. La foule hurle encore un peu, rit, tend les bras, ponctue les explosions d’étincelles par des séries de Oh my god ! Avant de se retirer doucement, dans un sourire béat. Dans la moiteur de LA, on regagne les immenses parkings, on reprend un hot dog, on cherche son SUV. On n’est plus en 1995 mais c’est tout comme, et on se voit déjà réinventer l’avenir. Tu vois c’que j’veux dire ?