REPORTAGE. "On était 100 par cellule, personne n'avait de nom ici" : en Syrie, la découverte des preuves de la "bureaucratie de la torture" mise en place par le régime Assad
La chute de Bachar al-Assad en Syrie, après un demi-siècle de règne du clan familial, est une opportunité historique de collecter directement des preuves des crimes du régime. La Commission internationale des personnes disparues (ICMP), créée en 1996, a appelé à préserver ces archives car les événements en cours pourraient avoir "un impact direct" sur la recherche des dizaines de milliers de disparus.
Au sein du centre de détention des services de renseignement militaire, appelé la "branche 235", il y a des milliers de documents avec des registres éparpillés un peu partout. Une femme est venue ici avec son frère pour chercher des informations sur son mari. IIs expliquent qu'ils n'ont rien trouvé pour l'instant mais qu'ils gardent espoir : peu auparavant, un homme a découvert, grâce à ces documents, que son frère était décédé.

C'est bien la preuve que toutes ces notes manuscrites, très détaillées, sont décisives. Il y a un registre écrit, avec des numéros et des noms. Parmi les motifs pour procéder à une arrestation : "Influenceur musulman recherché par la division de la sécurité politique", ou "Cause des problèmes à la frontière libano-syrienne." On retrouve des dizaines de passeports syriens sur une table. "Il y avait même des femmes ici", explique un Syrien qui nous montre le passeport d'une femme.
"J'étais le numéro 73-8"
Il y a les documents mais aussi les témoignages directs des milliers de personnes qui ont été enfermés et qui peuvent enfin parler. Ahmed, 34 ans, tient à montrer sa cellule, au sous-sol.

Et plus on s'avance, plus on prend conscience de l'horreur de ce lieu. Il n'y a aucune lumière et l'odeur est pestilentielle. "C'est là qu'on dormait, montre Ahmed. On était 100 là-dedans. Ils nous poussaient avec les pieds pour qu'on rentre. On pourrissait ici. Moi je dormais juste là. On se mettait en quinconce pour entrer. Personne n'avait de nom ici. On était des numéros. Mon numéro, c'était 73-8, la cellule 8."
Encore et toujours cette fascination pour les chiffres. Comme l'indiquent de nombreuses ONG : la Syrie était une machine à tuer "bureaucratique".