Notre critique de Cassandre, anatomie d’une famille toxique

Le film commence comme une comédie nostalgique sur les années 1990-2000. Une narratrice présente sa famille avec une certaine désinvolture. Les images défilent sur de la pellicule Super 8. Le ton est badin. Il ne faut pas s’y fier.

Une famille bourgeoise apparaît en rang d’oignon pour une photo de groupe. Deux jeunes filles endimanchées apparaissent sur le cliché ainsi qu’un papa en uniforme militaire blanc, une maman en jupe violette avec un blondinet dans les bras... et un bébé dans un landau jaune citron. À l’arrière-plan, un petit manoir provincial plante le décor. Rapidement, on saisit que l’héroïne évolue au sein d’une cellule familiale bourgeoise peu conventionnelle.

La famille du film Cassandre d’Hélène Merlin. Copyright Shanna Besson

Zabou Breitman incarne une maman extravertie assez fofolle, ayant fait mai 68, très fière d’avoir posé nue sur la couverture du journal satirique Hara Kiri. Anticonformiste, féministe, anarchiste, antimilitariste, elle projetait même de faire le tour du monde en combi Volkswagen avant de rencontrer son mari. C’est Éric Ruf qui interprète ce militaire très «jugulaire-jugulaire» patriarcal en diable, cavalier hors pair, passionné d’échecs et de jeu de go, qui fait régner sur la maisonnée un ordre implacable quasi irrespirable.

Les deux enfants s’y conforment pourtant sans moufter. L’intrigue se situe à l’été 1998, au moment de la coupe du monde de football. À 14 ans, Cassandre (jouée par la formidable Billie Blain) a quitté sa pension militaire pour venir passer l’été en famille. Son grand frère, brimé par un père autoritaire continuellement déçu par son fils, est également revenu des États-Unis où les parents l’avaient envoyé pour se perfectionner en anglais. Quant aux deux jeunes filles de la photo de famille, elles ont déserté le manoir juste après avoir atteint leur majorité. Les parents considèrent «qu’elles sont folles».

Largement préférée par ce père imposant, Cassandre est devenue une cavalière aguerrie. C’est grâce à cette passion équestre qu’elle peut s’émanciper de l’emprise paternelle en passant ses journées dans un centre d’équitation où règne une atmosphère beaucoup plus légère. À la maison, les conversations avec son grand frère obsédé par la puberté de sa petite sœur sont suffocantes. Elles conduiront inévitablement au drame de l’inceste.

Hélène Merlin filme cette chronique estivale qui vire petit à petit au tragique comme l’anatomie précise d’un foyer malade qui se dévoile à la manière d’une photographie argentique sortie des bains d’une chambre noire. Le ton change, s’assombrit. Une famille toxique se révèle. Éric Ruf et Zabou Breitman sont époustouflants de justesse. Et l’on comprend mieux le double sens mythologique du prénom de l’héroïne, devenue celle qui prédit les drames à venir sans être entendue par ses proches, ni même crue.

Ce film d’une saisissante acuité évolue dans le sillage du film Les Chatouilles d’Andrea Bescond ou du livre de Camille Kouchner La Familia Grande. Cassandre brosse le portrait d’une famille toxique et dysfonctionnelle jusqu’à l’horreur. On en ressort bousculé. Mais les éclats d’espoir et de résilience qui parsèment l’intrigue permettent d’encaisser le choc. Une œuvre d’autofiction salutaire à voir pour mieux comprendre les mécanismes insidieux de l’inceste.