Ses dirigeants éliminés, comment le Hezbollah arrive-t-il encore à riposter ?

Au cours de la troisième semaine de septembre, quelques jours avant le premier anniversaire des attaques terroristes du Hamas contre Israël du 7-Octobre, les objectifs de la guerre menée par l'État hébreu changent.

Alors que la bande de Gaza est en ruines, que plus de 41 000 Palestiniens sont morts et que des centaines de milliers d'autres ont fui leur domicile, Israël tourne alors son regard vers sa frontière nord, avec le Liban. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu annonce que les objectifs de son pays incluent désormais "le retour en toute sécurité des habitants du nord (du pays) dans leurs maisons", à l'abri de la menace constante des tirs de roquettes du groupe chiite du Hezbollah soutenu par l'Iran.

La résidence privée de Benjamin Netanyahu ciblée

Mais plus d'un mois après cette promesse faite par le chef du gouvernement et le début de sa campagne aérienne et terrestre dévastatrice contre le mouvement islamiste libanais, tuant presque entièrement sa direction politique et militaire, et entraînant le déplacement de 1,2 million de civils, c'est la propre maison de Benjamin Netanyahu qui a été ciblée samedi 19 octobre.

Au cours du week-end dernier, un drone lancé par le Hezbollah s’est écrasé près de la maison de vacances du Premier ministre à Césarée, loin de la frontière libanaise. Ni lui ni son épouse ne se trouvaient alors dans la résidence privée.

Selon Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics, le Hezbollah continue de faire payer un lourd tribut à Israël malgré les pertes dévastatrices qui lui ont été infligées. "Nous avons vu au cours des deux dernières semaines que le Hezbollah semble avoir repris l’initiative. Il est de nouveau sur pied, repousse et inflige des pertes à Israël quotidiennement", explique-t-il. "Les missiles du Hezbollah ciblent désormais n’importe quelle partie d’Israël – littéralement n’importe quelle partie –, y compris l’appartement de Benjamin Netanyahu, tout comme des installations militaires clés."

Il est difficile d'estimer l’ampleur de l'escalade militaire menée par Israël contre le Hezbollah. Les explosions de milliers de bipeurs et de talkies-walkies piégés, supposés appartenir à des militants du mouvement islamiste, a tué en septembre des dizaines de personnes, dont des enfants, et en a blessé des milliers d'autres. Dans les jours qui ont suivi ces attaques, Israël a lancé des frappes aériennes répétées contre ce qu’il a qualifié de positions du Hezbollah dans le sud du Liban, dans la vallée de la Bekaa, dans l’Est, et dans la capitale, Beyrouth.

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Le 27 septembre, un raid aérien nocturne utilisant des bombes BLU-109 – des bombes "pénétrantes" de fabrication américaine – a détruit une demi-douzaine d’immeubles d’habitation à Daniyeh, dans la banlieue sud de Beyrouth, plongeant la ville dans le chaos et tuant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Son successeur présumé, Hachem Safieddine, a été tué quelques jours plus tard. D'autres hauts responsables militaires, dont Nabil Qaouk, Ibrahim Aqil et Ali Karaki, sont également tombés.

Ces frappes se sont poursuivies, atteignant le cœur de Beyrouth et ciblant des institutions financières liées à l’aile politique du Hezbollah. En parallèle de ces tirs quotidiens, les troupes israéliennes ont franchi la frontière, menant ce que l’armée israélienne décrit comme des "opérations limitées", qui ont conduit à des affrontements sanglants avec les combattants du groupe chiite.

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Fawaz Gerges estime que l’assassinat par Israël de Hassan Nasrallah et d’une grande partie de la structure de commandement militaire du Hezbollah a gravement endommagé le groupe chiite : "Je pense qu’au cours des premières semaines, le Hezbollah s'est retrouvé déséquilibré, en état de choc et secoué – son commandement et son contrôle ont dysfonctionné."

"On ne peut vraiment appréhender les célébrations en Israël et aux États-Unis qu’en comprenant la position fondamentalement difficile dans laquelle s’est retrouvé le Hezbollah après avoir subi ces revers majeurs et catastrophiques", précise-t-il.

Des unités qui agissent seules

Malgré l'élimination presque totale de ses hauts dirigeants politiques et militaires et la destruction de dizaines de stocks d’armes et de positions militaires, le groupe islamiste aurait toujours à sa disposition environ 50 000 combattants – dont la moitié sont des réservistes – et jusqu’à 200 000 missiles, certains capables de frapper des cibles à l'intérieur du territoire israélien.

Le Hezbollah a ainsi continué à déclencher des tirs de barrage de missiles sur des cibles militaires en Israël – d’abord, ses tirs de roquettes habituels ainsi que des drones explosifs, puis, depuis mercredi, des missiles de précision lancés sur une usine militaire dans la banlieue de Tel-Aviv. Un certain nombre de ces attaques n'ont pas été interceptées par le Dôme de fer, tuant des soldats israéliens et en blessant des dizaines d’autres.

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Selon Fawaz Gerges, le secret de l'endurance du Hezbollah repose sur son habitude à entraîner et à équiper ses combattants comme des unités presque entièrement autonomes. "Le Hezbollah, en tant qu’organisation paramilitaire, a responsabilisé ses différentes unités et ses commandants sur le terrain pour qu'ils agissent de leur propre chef", décrit le professeur en relations internationales. "Chaque unité du Hezbollah sur le terrain dans le sud du Liban ou dans la vallée de la Bekaa a été entraînée à agir de manière autonome, à s'appuyer sur son propre jugement. Chaque unité agit seule depuis quatre semaines."

Une note d'information publiée en mars par le Centre d’études stratégiques et internationales, basé aux États-Unis, indique que la structure du groupe paramilitaire a été construite précisément pour ce genre de combat asymétrique dans lequel il est engagé face à l’armée moderne plus conventionnelle d’Israël.

"Le Hezbollah a utilisé une version de ce que les États-Unis appellent le 'commandement de mission', permettant à ses subordonnés de prendre des décisions indépendantes sur le champ de bataille, basées sur l’intention du commandant. Cette conception de la force a permis au Hezbollah d’opérer efficacement malgré la puissance de feu israélienne", peut-on lire dans ce document. "En 2006, par exemple, ses unités de roquettes ont été conçues pour établir un site de lancement, tirer et se disperser en moins de 28 secondes, en s'appuyant sur des équipements prépositionnés, des abris souterrains et des vélos de montagne pour organiser une si petite fenêtre d'exposition."

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Une guerre d'usure

À bien des égards, la ténacité du Hezbollah face à l’écrasante supériorité militaire d’Israël montre à quel point le groupe islamiste s’est préparé pour ce moment. Créé dans le chaos de l’invasion et de l’occupation du Liban par Israël en 1982, le groupe a l'habitude des campagnes insurrectionnelles menées contre une plus grande puissance militaire.

Ces mêmes tactiques lui ont été utiles en 2006, lorsque l'État hébreu, trop confiant, envoya des milliers de soldats et des colonnes de chars traverser la frontière, pour se retrouver coincés par des militants armés ayant une connaissance intime du labyrinthe d'oueds, de collines et de vallées dans le sud du Liban.

Pour Fawaz Gerges, le Hezbollah semble prêt à mener une guerre d’usure acharnée contre les forces terrestres israéliennes, au prix même de la destruction continue de ses structures militaires. "Plus d’un mois après l’invasion du Sud-Liban par Israël, celui-ci ne contrôle pas totalement un seul village de cette zone, pas un seul", constate-t-il. "Bien sûr, Israël arrive avec une puissance écrasante, il s'empare d'un hameau, de la moitié d'un village, mais le Hezbollah est capable de résister et de forcer les formations militaires israéliennes à battre en retraite sous le feu. Dans l'ensemble, du point de vue du Hezbollah, le temps joue en sa faveur, pas en celle d'Israël."

La décision controversée du Hezbollah de soutenir le président syrien Bachar al-Assad pendant la guerre civile brutale en Syrie a également permis aux combattants du groupe islamiste de se former aux moyens militaires plus conventionnels, notamment au sein de divisions blindées et avec de l'artillerie – l'idée que ce type de manœuvres soit utilisé dans le sud du Liban semble cependant peu probable.

Quoi qu’il en soit, le professeur Fawaz Gerges observe que le Hezbollah semble jouer sur un temps long. "Ce dont nous devons tenir compte, c’est que le Hezbollah n’a pas vraiment besoin de vaincre Israël, il ne peut pas le faire – là n’est pas la question", conclut-il. "L’objectif du Hezbollah est d’empêcher Israël de se sentir en sécurité, point final. Non seulement à sa frontière nord, mais dans de nombreuses régions d’Israël."

Cet article a été adapté de l'original en anglais à retrouver ici.