Festival de Cannes : Renoir, portrait de la petite fille en pleurs

Nouvelle entrante en compétition, Chie Hayakawa n’est pas pour autant une inconnue sur la Croisette. Le premier long-métrage de la réalisatrice japonaise, Plan 75, était reparti du Festival de Cannes 2022 avec une mention spéciale du jury de la Caméra d’or. Dystopie glaçante, Plan 75 imaginait une politique d’euthanasie dans un futur proche, avec l’instauration d’un marché de la mort pour les seniors de plus de 75 ans, fardeaux dans une société jeuniste et capitaliste au cynisme décomplexé. Renoir, en lice pour la palme d’or, ne se laisse pas aussi aisément résumer.

Il est plus facile de dire ce que Renoir n’est pas que ce qu’il est véritablement. Ce n’est pas un biopic du peintre Auguste ni de Jean, son fils cinéaste – le réalisateur français Gilles Bourdos l’a fait avec Michel Bouquet il y a une dizaine d’années. Il y a bien une allusion à Renoir, à travers une reproduction de La Petite Irène, portrait d’Irène Cahen d’Anvers, peint en 1880. Fuki lui ressemble, fillette au regard triste dans le Tokyo de la fin des années 1980. Son père, atteint d’un cancer en phase terminale, est à l’hôpital. Sa mère, tout juste promue cheffe d’équipe dans son travail, est débordée et ne prend pas le temps de s’occuper de sa fille.

Des faux-airs de Kore-eda

Fuki a des pensées morbides. Elle rêve qu’on l’étrangle dans son sommeil ou écrit dans une rédaction qu’elle aimerait être orpheline. Elle se lie d’amitié avec une camarade de classe, s’essaie à l’hypnose, à la télépathie, au spiritisme, à tous ces rituels qui permettent de faire communiquer les êtres, vivants ou morts. L’été de Fuki est la saison d’une grande vacance, celle d’un foyer inhabité et d’une vie sans attaches. Une messagerie téléphonique la met en contact avec d’autres solitudes que la sienne. Un jeune homme aux manières de pédocriminel l’invite chez elle et lui lave les dents pour chasser sa mauvaise haleine. La télévision – les réseaux sociaux n’existent pas dans les années 1980 – déverse des faits divers sordides, rumeur d’une société anxiogène et violente. Un fils a poignardé à mort ses parents parce qu’ils l’avaient privé d’argent de poche à cause d’un mauvais bulletin de notes.

Renoir a des faux airs d’un film de Kore-Eda. Le vert paradis des amours enfantines tire sur le noir. Comme chez l’auteur d’Une affaire de famille, les adultes sont défaillants. Moins ici parce qu’ils sont immatures que sur le point de mourir ou absents. Mais à la ligne claire et droite de Kore-eda, Hayakawa préfère les sinuosités, au risque d’égarer le spectateur. Renoir émeut lorsqu’il cesse de vouloir être étrange. Les séquences les plus touchantes sont les plus simples. Ce sont celles qui montrent Fuki et son père en promenade hors de l’hôpital, notamment à l’hippodrome. Seule sous la pluie, son père vient chercher Fuki et la porte sur son dos. Rêve ou réalité, le statut des images chez Hayakawa est indécidable. Renoir s’ouvre par des archives d’enfants en pleurs et se ferme par de jeunes gens en train de danser sur le pont d’un bateau.