«Ma démarche est symbolique : elle est nécessaire pour rendre justice à la mémoire de Samuel, mais elle doit permettre aussi d’éviter que de nouveaux drames similaires se reproduisent», explique Mickaëlle Paty en confiant au Figaro le sens de l’action qu’elle vient d’engager contre l’État. La sœur de l’enseignant égorgé en 2020 par un islamiste, au terme d’une cabale lancée contre lui sur les réseaux sociaux pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet, estime que l’État français doit reconnaître sa responsabilité dans la mort de Samuel Paty.
Son avocate, Me Carine Chaix, a écrit dans ce sens le 15 mars au premier ministre ainsi qu’aux ministres de l’Intérieur et de l’Éducation nationale : ceux-ci disposent d’un délai de deux mois pour reconnaître officiellement la responsabilité de l’État, faute de quoi l’avocate choisira de porter l’affaire devant la justice administrative, afin d’obtenir une décision du tribunal.
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«L'État doit faire amende honorable et effectuer un travail d'introspection sur la façon dont il a traité les offensives de déstabilisation de l'institution scolaire et du modèle républicain», poursuit Mickaëlle Paty. Cette démarche, qu’elle est seule à engager, s’ajoute à une plainte contre X déposée par l’ensemble de la famille de Samuel Paty (ses parents et ses deux sœurs) devant la justice civile, afin de poursuivre les fonctionnaires dont la responsabilité personnelle est selon eux en cause.
Du 8 au 16 octobre 2020, l’administration «a été le témoin impuissant car inactif d’un lent engrenage fatal, nourri de menaces de mort contre Samuel Paty et d’appels à venger le prophète, relayés sur les réseaux sociaux», rappelle Me Carine Chaix, qui est par ailleurs membre du Collectif Justitia de l'Institut Thomas More. Ces éléments sont au cœur d’un livre-enquête du journaliste Stéphane Simon paru en 2023, Les derniers jours de Samuel Paty.
Une série de défaillances en cascade
La sœur de l’enseignant et son entourage insistent sur «une multitude de fautes de l’administration» qui ont rendu possible selon eux l’assassinat terroriste dont l’enseignant a été victime. «Ni la principale du collège, ni le rectorat n’ont opposé de démenti public au mensonge d’une élève qui a mis le feu aux poudres en faisant croire que Samuel Paty aurait discriminé les musulmans, et l'aurait forcée à sortir de son cours - dont elle était pourtant absente», rappelle Me Carine Chaix. Ajoutant : «les équipes académiques du rectorat ont ensuite minoré la gravité et l’ampleur des menaces de mort pesant sur Samuel Paty et, au lieu de mettre un terme aux contestations violentes de son cours, ont dépêché un référent laïcité chargé de lui rappeler les règles de laïcité !»
Enfin, toujours selon l’avocate, «à ces défaillances se sont ajoutées celles des services de renseignement et de la préfecture qui, parfaitement alertés du niveau de gravité des menaces et de l'implication de la mouvance islamiste radicale, n'ont ni mis Samuel Paty sous protection, ni protégé le Collège, ni demandé à Samuel Paty de s'éloigner de l'établissement scolaire et de son domicile le temps que la situation s'apaise».
Mickaëlle Paty demande à l’État en dédommagement une somme «symbolique», qui sera reversée à des associations promouvant la laïcité à l’école : «ce qui compte pour moi, c’est seulement que cette responsabilité soit établie et reconnue». Elle ajoute avoir eu le désir d’engager cette démarche à la suite du meurtre de Dominique Bernard à Arras, un autre enseignant tué le 13 octobre 2023 comme son frère par un islamiste - le jour où les établissements scolaires devaient d’ailleurs rendre hommage, trois ans après le drame, à Samuel Paty.
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Une seule autre démarche comparable avait été intentée par le passé pour des faits de terrorisme, à la suite des attentats de Mohammed Merah, mais la responsabilité de l’État n’avait pas été reconnue par les juges. Me Carine Chaix souligne néanmoins que cette procédure entendait faire condamner l’État pour un défaut de surveillance, ce qui supposait de faire reconnaître une «faute grave» de l’État ; tandis que sa démarche établit une liste de dizaine de fautes différentes attribuées à l’État s’agissant de la mort de Samuel Paty.
Début mars, un rapport issu d'une commission d'enquête du Sénat lancée après l'assassinat de Samuel Paty a décrit avec inquiétude une «école de la République en danger». 38 recommandations ont été formulées pour conjurer la «solitude des enseignants» face à l’islamisme radical.