Notre critique de Confidente, un cinglant et magistral thriller confiné
Elle apparaît de dos, chignon serré, dans la pénombre d’un espace confiné. L’action se situe le 17 août 1999 dans la banlieue d’Ankara, en Turquie. Le téléphone sonne. « Bonsoir. Je suis Arzu. Apprenons à nous connaître. À qui ai-je l’honneur ? »
Opératrice dans un centre d’appels érotique, Sabiha, qui se fait appeler Arzu, connaît la musique. Son discours est rodé. Elle enchaîne les appels tarifés. Dans l’alignement des box téléphoniques, sa lumière rouge reste toujours allumée. Ce qui fait la fierté du petit patron harceleur qui dirige cette sordide hotline de province. Mais elle consigne soigneusement les déviances de ses clients dans un cahier.
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Passer la publicitéLes fantasmes plus ou moins avouables
Du vieil habitué qui lui parle de son canari malade jusqu’au mari sadomaso qui cherche quelques frissons interdits en rentrant du boulot, sans oublier l’adolescent surexcité fou de jeux vidéo, ou l’homme de main concupiscent d’un trafiquant évoluant dans les hautes sphères du pouvoir, cette triste madone compose avec des fantasmes plus ou moins avouables.
Le contraste est frappant entre les propos salaces des uns, et ces drôles de standardistes dont certaines tricotent tout en répondant aux clients. Sabiha, belle jeune femme accablée dont le visage fatigué évoque celui d’une mater dolorosa façon Georges de La Tour, voit défiler toute la misère sexuelle humaine dans son combiné.
Mère célibataire qui se bat pour la garde de son fils, Sabiha opère sous un nom d’empreint pour arrondir ses fins de mois. Un tremblement de terre suspend cette ruche bourdonnante. Les lumières s’éteignent. Les murs tremblent. Le temps est suspendu jusqu’à ce que retentisse la sonnerie de son téléphone. Le jeune garçon à la Playstation rappelle, blessé et prisonnier sous les décombres. L’héroïne va alors tout faire pour secourir l’infortuné sans quitter la ligne...
Long-métrage à dispositifs
Présenté dans la section Panorama à la dernière Berlinale, Confidente, troisième film du couple franco-turc Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, s’avère un passionnant huis clos aussi minimaliste que malin. Dans le registre des longs-métrages à dispositifs, initiés jadis par le Lifeboat d’Hitchcock qui invitait le spectateur à passer tout un film dans un canot de sauvetage, Confidente navigue entre le Phone Game (2002), de Joel Schumacher, avec Colin Farrell, The Guilty (2018), polar danois signé Gustav Moller, qui ne quittait pas d’une semelle le flic d’un centre d’appels de police cherchant à localiser une femme kidnappée, ou le thriller claustrophobique mexicain Buried (2010), de Rodrigo Cortès, où un chauffeur routier américain (Ryan Reynolds) se réveillait enterré dans un cercueil.
Ici, les réalisateurs orchestrent une tragédie tendue, tressée serrée dans un modeste centre d’appels de téléphone rose saisi par le séisme d’Izmit près d’Istanbul qui fit près de 20 000 morts en 1999. L’héroïne, magistralement interprétée par Saadet Isil Aksoy (déjà vue dans Eastern Plays), tient sur ces frêles épaules toute la pression du film. Avec ses faux airs de Sophie Duez dans Marche à l’ombre, cette beauté classique empreinte de gravité participe pleinement au charme du film.
Passer la publicitéTout passe par la voix
Mais le vrai sujet de Confidente, c’est la manière dont l’héroïne va réussir (ou non) à se défaire de l’emprise masculine qui régit son existence. Tout passe par la voix. Celle des hommes face à la sienne au bout du fil. Mis à part le petit proxénète qui la poursuit de ses assiduités, la gent masculine est absente physiquement du grand écran. Plus la caméra scrute Sabiha, plus le spectateur prend conscience de la tension psychologique qu’elle doit endurer. D’autant que les rares fois où la caméra la montre en pied, elle se sert d’une canne et sa démarche claudicante renforce son impression de déséquilibre permanent.
Mais là où Confidente mérite ses galons de film culte, c’est qu’il réussit à tenir le spectateur en haleine pendant 76 minutes d’un insoutenable suspense. Ce thriller confiné aurait pu n’être qu’un brillant exercice de style. Par son langage cinématographique inventif, Confidente transcende son sujet et devient une expérience unique de cinéma : aussi angoissante qu’émouvante.