Interdire les voitures surpuissantes aux jeunes conducteurs : vraie mesure ou fausse bonne idée ?

À la suite de plusieurs accidents tragiques impliquant des conducteurs novices au volant «de voitures très puissantes», la sénatrice socialiste du Nord Audrey Linkenheld a décidé d’agir. Le 11 février 2025, la parlementaire a déposé une proposition de loi visant à interdire la conduite de ces véhicules aux jeunes conducteurs. Très concrètement, le texte bannirait la vente, la location et la mise à disposition de ces voitures aux conducteurs en période probatoire, soit généralement dans les trois ans suivant l’obtention du permis. Pour mieux cerner les enjeux du débat, Le Figaro a proposé à la sénatrice Audrey Linkenheld un dialogue à distance avec Alexandra Legendre, porte-parole de la Ligue des conducteurs, qui a des doutes sur ce projet.

Alexandra Legendre, Ligue des conducteurs : «La moindre Clio peut monter à 180 km/h...»

«La priorité, selon nous, est de mettre fin à la possibilité de louer des voitures très puissantes immatriculées hors de France à des conducteurs novices. Pourquoi ne pas limiter la démarche législative à ce cadre ? Pourquoi faire subir à tous, les conséquences de comportements ultra-dangereux d’une toute petite minorité (vitesse excessive en ville, non-respect du Code de la route, drogue, alcool …) – même si les auteurs de ces faits font la Une de journaux –, alors qu’il suffirait de voter une loi pour que la location courte durée de véhicules immatriculés à l’étranger , donc moins facilement traçables, ne soit pas accessible avant trois ou cinq ans de permis de conduire ? C’est simple et très facilement applicable.

Ensuite que mettez-vous dans le terme « voitures puissantes » ? La moindre Clio  peut monter à 180 km/h et si la personne au volant a choisi de ne pas respecter la loi, qu’est-ce qui l’empêche de monter à cette vitesse en ville, par exemple ? Peu importe alors que son véhicule développe 500 ch ou 800 ch.

Comment appliquer cette proposition loi, telle qu’elle est présentée aujourd’hui ?

Alexandra Legendre

Nous pensons plutôt qu’il faut valoriser la conduite responsable. Il s’agit d’ailleurs de l’un des pans de la formation initiale : sensibiliser les futurs conducteurs aux responsabilités qu’ils vont endosser, dès lors qu’ils se retrouveront derrière un volant. Après, bien évidemment que la formation initiale classique n’aguerrit personne à la conduite sportive. Seuls l’expérience, la pratique, et donc le sens des responsabilités, permettent d’appréhender le pilotage de véhicules puissants.

Selon nous, deux autres difficultés se poseraient, qui ont d’ailleurs déjà été soulevées au Sénat il y a 20 ans. Nous avons notamment retrouvé deux questions parlementaires (question n°17584 du 12/05/2005 et question n°26023 du 25/01/2007) allant dans ce sens, auxquelles le ministère des Transports a alors répondu de manière quasi identique. La première fois, indiquant qu’une telle mesure serait discriminante, inefficace et injustifiée. La deuxième fois, en ajoutant : que cette mesure se heurterait à des problèmes pratiques. Il faudrait publier une liste des véhicules concernés puisque cette information ne pourrait être inscrite sur la carte grise. La question reste la même comment appliquer cette proposition loi, telle qu’elle est présentée aujourd’hui ?»

Audrey Linkenheld, sénatrice : «Cette mesure protège des conducteurs inexpérimentés»

«D’abord je veux rappeler que ce n’est pas un petit enjeu, le mauvais usage de ces véhicules entraîne malheureusement de nombreux accidents mortels. Et c’est cela, qui m’a conduit à savoir comment le législateur pouvait prévenir ce risque. La ligue de défense des conducteurs a raison, la définition précise d’un véhicule surpuissant reste à déterminer. Mais ce n’est pas à nous de la faire et le texte propose de fixer cette définition par voie réglementaire. Peut-être que nous préciserons dans quelle direction le législateur veut aller, en indiquant un seuil de puissance précis, mais j’attends d’auditionner l’ensemble des acteurs pour le préciser. Sur l’exemple de la Clio, je ne crois pas que cette voiture puisse atteindre des vitesses élevées aussi rapidement que les voitures que nous visons dans cette proposition. 

On ne vise pas une catégorie d’âge mais une compétence non acquise, celle de l’expérience sur la route.

Audrey Linkenheld

Ensuite, pourquoi avons-nous ciblé l’ensemble des véhicules du parc et non pas seulement la location  ? Le constat que l’on fait reste que nombre d’accidents tragiques sont causés avec des véhicules loués à l’étranger, et cela n’est d’ailleurs jamais sans lien avec le narcotrafic. Sauf que nous ne pouvons pas intervenir de manière réglementaire sur des voitures louées à l’étranger. De fait, les agences de location étrangères peuvent ne pas être soumises aux mêmes exigences en matière de formation ou de sensibilisation que les agences de location françaises. Donc nous estimons que la mesure la plus efficace reste d’englober tous les cas de figure qui permettent à un conducteur inexpérimenté de se retrouver avec une voiture surpuissante entre les mains. La proposition précise donc bien le fait de vendre, céder, louer ou mettre à disposition ce type de véhicule. 

Que cette mesure soit discriminatoire, je ne le crois pas. Et sur ce point, les services administratifs du Sénat ne nous ont pas signifié de difficultés. On ne vise pas une catégorie d’âge mais une compétence non acquise, celle de l’expérience sur la route. Il me semble bien qu’un terme existe d’ailleurs désigné par «le permis probatoire». Et en quelque sorte, nous nous sommes inspirés de ce qui existe pour le permis moto, qui est modulé en fonction de la puissance des moteurs utilisés. Et bien sûr nous ne voulons pas pénaliser les passionnés de conduite sportive, il est bien inscrit dans notre proposition de loi qu’on veut exclure l’activité sur circuit de cette loi.

Nous continuons un cycle d’audition au Sénat pour mieux travailler cette proposition, notamment en lien avec la sécurité routière , et si La ligue de défense des conducteurs veut participer à ces auditions, elle est la bienvenue».