Notre critique de Marche ou crève : la route de l’angoisse de marcheurs désespérés

Rien de tel qu’un budget « serré » de vingt petits millions de dollars pour stimuler la création d’un cinéaste chevronné tel que Francis Lawrence (Je suis une légende ou Red Sparrow). C’est ce qui a dû se passer pour l’adaptation du best-seller de Stephen King Marche ou crève (The Long Walk, initialement publié en 1979) qui traînait dans les cartons de Hollywood depuis plus de quarante ans. L’intrigue tient en quelques lignes. Les États-Unis peinent à se relever d’une guerre atomique qui a ruiné le pays. Un jeu cruel est institué pour calmer les ardeurs d’un peuple porté à la sédition, tout en lui donnant « du pain et des jeux ». Un candidat volontaire issu de chaque État est sélectionné pour participer à un grand spectacle retransmis à la télévision. La règle est aussi simple que cruelle.

Les concurrents se lancent sur la ligne de départ et doivent marcher sans s’arrêter, entourés d’un convoi militaire qui les surveille et qui les filme. Si l’un des membres de la troupe faiblit ou perd un tant soit peu le rythme, après trois avertissements, c’est l’exécution sommaire. Des amitiés plus ou moins éphémères se forgent. Chacun sait pourtant qu’à la fin, il n’en restera qu’un. Sous le pseudonyme de Richard Bachman, le maître du suspense psychologique, avait troussé un road trip diablement terrifiant.

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De la contrainte, Lawrence fait un atout puissant

On comprend vite pourquoi Francis Lawrence, metteur en scène de quatre films adaptés de la saga Hunger Games signée Suzanne Collins, s’est trouvé tout à son aise au cœur de cet univers dystopique. Lawrence a déjà arpenté les allées scénaristiques d’un tel récit d’anticipation. Quoi qu’il en soit, il fallait avoir les épaules pour oser s’affronter à un texte troussé par le roi de l’horreur littéraire comme Stephen King. D’autant que d’autres comme George A. Romero (La Nuit des morts-vivants, Creepshow) ou même Frank Darabont (Les Évadés, La Ligne verte) s’y étaient déjà frottés sans succès.

L’avantage de Lawrence, c’est finalement son côté condottiere indépendant, et ce manque de moyens financiers. De la contrainte, le cinéaste fait un atout puissant. Avec un sens de l’efficacité indéniable, il met en place une grammaire cinématographique simple, implacable : un groupe de marcheurs désespérés, une route interminable bordée de ruines, des soldats sans visage, et une longue marche contre la mort dont ne surgira qu’un unique survivant. La force du film réside dans son humanité toujours mise en danger, toujours vacillante, mais qui se relève après chaque chute.

Cette solide adaptation s’affirme comme une satire pamphlétaire horrifique mettant en exergue la déshumanisation d’une Amérique futuriste sous dictature

Dans Marche ou crève, l’angoisse est constante. Les explosions de violence sont rares mais filmées avec une précision chirurgicale. En mettant en images les mots de King, Lawrence réalise un film concept en forme de huis clos à ciel ouvert. Sous ces airs de petit blockbuster de science-fiction, cette solide adaptation s’affirme comme une satire pamphlétaire horrifique mettant en exergue la déshumanisation d’une Amérique futuriste sous dictature.

Le film montre par petites touches la désintégration d’une société menée par des chefs prêts à tout pour faire triompher l’inhumanité au bout de la route. Du haut de ses 74 ans, le comédien Mark Hamill (éternel Luke Skywalker de Star Wars ) fait merveille dans le rôle du Major. Debout sur le siège de sa jeep, pistolet à la ceinture, il incarne un personnage de commandant monolithique, portant casquette militaire vissée sur le crâne, treillis kaki, Ray-Ban et petit bouc poivre et sel. Sa justesse de jeu fait froid dans le dos.

On retiendra également la formidable prestation de Cooper Hoffman (fils du regretté Philip Seymour Hoffman) qui s’était déjà fait remarquer dans Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson. Sans oublier celle d’un autre jeune acteur à la puissance tranquille, David Jonsson (repéré dans Alien Romulus) dont on va certainement reparler.


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Marche ou crève. Horreur de Francis Lawrence. Avec Cooper Hoffman, David Johnson, Garrett Wareing. Durée : 1 h 48.

L’avis du Figaro : 3/4.