« Aux grands Hommes »... Faut-il « dégenrer » l’inscription au fronton du Panthéon ?

« Aux grands Hommes »... Faut-il « dégenrer » l’inscription au fronton du Panthéon ?

Le Panthéon a changé cinq fois d’inscription à son fronton, selon les époques et les régimes. LUDOVIC MARIN / AFP

Robert Badinter entrera au temple de la République jeudi soir, jour anniversaire de l’abolition de la peine de mort. Il sera la 79e personnalité à rejoindre la liste des « panthéonisés », qui ne comprend que cinq femmes.

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L’idée a été lancée, en août, par l’ancienne ministre de l’Éducation Élisabeth Borne, avec un certain retentissement. La Patrie ne devrait-elle pas être « reconnaissante aux grandes femmes » ? Et pas seulement aux « grands Hommes », comme on peut le lire sur son fronton. « Si en levant les yeux, les femmes ne voient pas la société reconnaître pleinement leur place dans son histoire, alors nous leur envoyons un message contradictoire, avait estimé Élisabeth Borne. Nous devrons ouvrir le débat sur la devise inscrite au fronton du Panthéon, “ Aux grands Hommes, la Patrie reconnaissante ”. »

Si le raisonnement peut être débattu — bien que les esprits contemporains tendent à l’oublier, le vocable homme est censé recouvrer les deux genres —, un éventuel changement ne serait pas le premier. Depuis le XVIIIe siècle, et au gré des régimes politiques, l’inscription sur le fronton a été effacée et modifiée plusieurs fois, avant de se stabiliser dans sa version actuelle en 1885.

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Bataille de devises

Commandé à l’architecte Soufflot par Louis XV, le Panthéon fut d’abord une église et son fronton, dédié à Sainte-Geneviève. Mais en 1791, la Révolution transforme le monument en un temple républicain « destiné à recevoir les cendres des grands hommes ». Dans la foulée, l’inscription latine va être effacée, au profit du fameux « Aux grands Hommes, la Patrie reconnaissante ». C’est Emmanuel Pastoret, alors procureur général syndic du département de Paris, qui propose la phrase, avec succès, à l’Assemblée constituante.

Changement de régime, nouveau changement de fronton. Sous la Restauration, en 1814, une sculpture est commandée à Louis-Pierre Baltard, qui imagine une croix nimbée d’une gloire. Pour l’accompagner, on efface « les grands Hommes » au profit d’une dédicace de Louis XV à Sainte-Geneviève. Et l’on précise que le fronton nouvelle version est dû à Louis XVIII.

Une décennie plus tard, suite à l’évènement de la Monarchie de Juillet, l’édifice devient le « Temple de la Gloire ». Il change à nouveau d’allure et les « grands Hommes » refont leur apparition. Le sculpteur David d’Angers se voit confier la mission de créer une nouvelle allégorie intitulée La Patrie distribue aux grands hommes, civils et militaires, des couronnes que lui tend la Liberté tandis que l’Histoire inscrit leurs noms.

Une suggestion de Sandrine Rousseau

On aurait pu s’arrêter là, mais l’inscription disparaîtra à nouveau sous le Second Empire, moment, où le Panthéon redevient une église. Il faut attendre 1885 que son usage soit à nouveau modifié. Et c’est « la Patrie reconnaissante » qui accueillera Victor Hugo au lendemain de son décès en 1895.

Aujourd’hui, « le débat sur la place des femmes au Panthéon n’est pas sans remettre en cause la pertinence d’une inscription datant d’une époque, où il était inconcevable que les personnages illustres puissent appartenir à un autre genre que masculin», estime Philippe Bélaval, auteur du Voyage au Panthéon (PUF). Dans L’Opinion, la députée EELV Sandrine Rousseau suggère aujourd’hui une nouvelle inscription : « à vous, ici, en paix, la République reconnaissante ».

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Sans même en passer par un changement de devise, le Panthéon pourrait accueillir davantage de « grandes femmes ». Il n’y en a que sept, contre 77 hommes. Outre Sophie Berthelot (en qualité d’épouse de Marcellin Berthelot, en 1907) et Mélinée Manouchian (inhumée au côté de son mari Missak en 2024), ont été panthéonisées Marie Curie (1985), Geneviève Anthonioz de Gaulle (2015), Germaine Tillion (2015), Simone Veil (2018) et Joséphine Baker (2021).