« Mon Dieu, quelle nuit, quelle nuit ! », répètent les personnages de L’Hôtel du Libre-Échange que Feydeau a écrit à 32 ans. On ne peut pas en dire autant en sortant du spectacle de Stanislas Nordey à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. L’ancien directeur du Théâtre de Strasbourg ne fait pas beaucoup rire ou par politesse avec cette adaptation créée en mars à la MC2 à Grenoble. Elle manque de fluidité et, curieusement, de fantaisie. Des procédés de mise en scène enrayent la mécanique huilée avec soin par le maître du vaudeville. Stanislas Nordey respecte la précision horlogère de la pièce à la lettre, mais avec une froideur calculée, un détachement affiché et une rigueur janséniste qui nous tiennent à distance.
On connaît l’histoire. Délaissée par son mari, Paillardin (Claude Duparfait, parfait), Marcelle (Marie Cariès, inutilement criarde) se laisse facilement convaincre par Pinglet, le meilleur ami de celui-ci (Cyril Bothorel aux airs de Nicolas Canteloup) de coucher avec lui. Ce dernier en a lui-même peu l’occasion avec sa femme aussi fermée qu’un coffre-fort de banque (Hélène Alexandridis).
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Procédés outranciers
Rendez-vous est pris à L’Hôtel du Libre-Échange, une maison de passe. « Sécurité et discrétion ! Hôtel du Libre-échange, 220, rue de Provence ! Recommandé aux gens mariés… Ensemble ou séparément ! », vante le prospectus publicitaire tombé entre les mains de Pinglet. Qui ignore que Paillardin s’y rendra également. Il a pour mission de vérifier que le lieu est hanté. Ainsi que Victoire (Anaïs Muller), sa femme de chambre qui prévoit de déniaiser le neveu de Paillardin (Damien Gabriac).
Les procédés comiques dont abuse Stanislas Nordey sont si systématiques et outranciers qu’ils laissent de marbre. Emportés malgré eux dans un tourbillon adultérin, les personnages tous campés formidablement devraient cavaler à l’envi mais, bridés, ils pédalent dans la choucroute sur un plateau trop vaste pour leur folie. Précisons qu’ils ne sont pas aidés par la scénographie, des murs recouverts de didascalies qu’on a le temps de lire au cours de la représentation qui s’étire sur deux heures et cinquante-cinq minutes, entracte compris. Ni par les costumes qui transforment les interprètes en volailles dès qu’ils sont dans l’hôtel borgne.
Certaines intentions restent mystérieuses chez Stanislas Nordey qui avait pourtant monté avec brio La Puce à l’oreille, de Feydeau, il y a vingt-deux ans. La tête de l’autruche qui apparaît sur le double panneau symbolise-t-elle le déni des protagonistes pris au piège de leurs mensonges ? Un fond de tristesse teinte leurs tourments. Ponctuée d’éclats de misogynie, la pièce voit les épouses devenir les jouets de leurs maris qui n’ont qu’une envie, en mettre d’autres dans leur lit. Si Pinglet devient le dindon de la farce, « canaille », il s’en sort sans une égratignure et c’est sa domestique qui paie les pots cassés. La première représentation de L’Hôtel du Libre-Échange, en 1894 au Théâtre des Nouveautés, avait été un triomphe. On ne prédit pas le même succès à cette version.
> > L’Hôtel du Libre-Échange, à l’Odéon (Paris 6e), jusqu’au 13 juin.