Un bataillon de journalistes est positionné devant le 101 rue de l’université, l’un des principaux bâtiments de l’Assemblée nationale. Ce mercredi 14 mai, au Palais Bourbon, ce ne sont pas les débats sur le projet de loi fin de vie ni les questions au gouvernement qui créent la cohue. Le premier ministre, François Bayrou, est attendu pour être auditionné par les députés dans le cadre de l’affaire Bétharram, du nom de cette école (Notre-Dame-de-Bétharram) des Pyrénées-Atlantiques mise en cause dans des faits de violences physiques et sexuelles sur mineurs depuis les années 1950.
Le chef du gouvernement a été convoqué dans le cadre de la commission d’enquête sur le contrôle des violences à l’école, créée à la suite des révélations concernant plusieurs écoles en France (dont Bétharram). Un rendez-vous qu’il a longuement préparé. Et lors duquel il s’est montré très offensif, accusant notamment «l’instrumentalisation politique» de l’affaire par LFI et son rapporteur Paul Vannier, dont le but est selon lui «d’abattre le gouvernement et le suivant» en usant de «l’arme du scandale, des réseaux sociaux et des attaques les plus basses».
Ce n’est pas la première fois qu’un responsable politique en activité est convoqué devant une commission d’enquête au Parlement. L’Assemblée nationale et le Sénat disposent effectivement de larges pouvoirs pour contraindre tout citoyen qui serait appelé à témoigner à honorer cette invitation et à répondre aux parlementaires. Tous les ans, l’Assemblée nationale et le Sénat auditionnent ainsi de nombreux acteurs, parmi lesquels, beaucoup de personnalités politiques. Nicolas Sarkozy et François Hollande lors de la précédente législature, Gabriel Attal, Élisabeth Borne et Bruno Le Maire dans celle-ci. Même Alexis Kohler, ancien-secrétaire général de l’Élysée, a été convoqué il y a quelques semaines devant la commission d’enquête sur la dette. Une invitation à laquelle il a refusé de répondre.
Des pouvoirs très larges
Et les politiques sont loin d’être les seuls à devoir répondre à ces convocations. Le PDG du groupe LVMH Bernard Arnault a par exemple été auditionné ce mercredi au Sénat par la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques versées aux grandes entreprises, pendant que l’homme d’affaires Pierre-Édouard Stérin a de son côté refusé de se rendre mardi à sa convocation devant celle de l’Assemblée qui concerne l’organisation des élections en France. Ce qui lui a valu un rappel à l’ordre musclé de Yaël Braun-Pivet : «Refuser de répondre à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire est grave. (...) M. Stérin, respectez vos obligations, respectez l’Assemblée nationale et son travail de contrôle, respectez les Français», a-t-elle posté sur le réseau social X (ex-Twitter).
Le député Renaissance Thomas Cazenave, rapporteur de cette commission d’enquête, a de son côté annoncé qu’il allait saisir la justice en adressant un courrier au procureur de la République de Paris pour constater le fait que l’homme d’affaires «ne respecte pas les obligations qui lui sont faites». Ce refus de comparaître devant les parlementaires est effectivement passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Depuis 1958, ces commissions ont effectivement de très larges pouvoirs, parmi lesquels également, celui pour les rapporteurs d’aller faire des contrôles sur pièces et sur place leur permettant d’obtenir tous les renseignements et documents de nature à faciliter leur mission, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret concernant la défense nationale ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État.
Une instrumentalisation ?
Depuis quelques jours, ces commissions d’enquête sont sur le banc des accusés. Il y en a «un peu trop», a jugé Yaël Braun-Pivet, ce week-end sur France 3. «Chaque groupe politique a le droit de faire une commission d’enquête par an. En plus, j’ai des commissions d’enquête qui sont votées dans l’hémicycle (et) des commissions permanentes qui se transforment en commissions d’enquête. Ça commence à faire beaucoup », a-t-elle argumenté. Avant de regretter qu’elles soient «instrumentalisées par certains camps politiques pour en faire des objets strictement politiques, des tribunes». Et d’appeler les députés à «prendre garde à ne pas dévoyer» ce «formidable outil de travail parlementaire» auquel elle s’est dite «très attachée».
«Il y a une dérive, clairement, que ce soit de la part de LR ou du NFP, qui consiste à se servir d’une commission d’enquête pour essayer de nuire à leurs adversaires», a également regretté la présidente du groupe RN, Marine Le Pen, mardi, à l’Assemblée, regrettant des «règlements de compte» pour servir «un agenda politique». Et ciblant ainsi également sans le nommer Laurent Wauquiez, qui a utilisé le droit de tirage de son groupe pour créer une commission d’enquête pour «débusquer» les connexions entre LFI et les réseaux islamistes.
Petite inflation
Les commissions d’enquête connaissent effectivement une petite inflation depuis le début de la 17e législature. Une augmentation principalement due au fait que chaque groupe parlementaire a le droit d’en créer une par an et qu’il n’y a jamais eu autant de groupes - 11 au total - au Palais Bourbon de toute l’histoire de la Ve République. Alors qu’il y en avait eu 18 en un peu plus de deux ans lors de la précédente législature, 10 ont déjà été officiellement lancées depuis septembre.
«C’est devenu un outil de mise en accusation politique plus qu’un outil de contrôle de l’action du gouvernement», regrette Mathieu Lefèvre (Renaissance), qui a été rapporteur, avec Éric Ciotti (UDR), de celle sur l’ampleur de la dette publique. «Chaque fait divers ou de société a le droit à sa commission d’enquête, ce qui dévoie celle-ci», regrette-t-il. Avant de nuancer toutefois son propos : «Mais si on regarde les conclusions de chacune d’elles, il y a des choses qui peuvent servir. Ces commissions sont aussi un moyen pour le Parlement d’exister et de travailler dans un contexte politique difficile. Il y a beaucoup d’auditions très sérieuses et moins médiatiques qui sont menées...»
Des auditions médiatiques mais un travail de fond
Mais les commissions d’enquête menées actuellement, parfois «à charge» contre certains acteurs politiques, économiques ou médiatiques, ne sont pas nouvelles. Lors de la précédente législature, celle sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre avait énormément fait parler d’elle, notamment lors des auditions des différents salariés du groupe Bolloré. Même chose il y a quelques années lors des deux commissions d’enquête à l’Assemblée et surtout au Sénat sur l’affaire Benalla. «Oui, il y a parfois un côté procureur dans ces commissions d’enquête, ce qui n’est pas tout à fait anormal», juge le président des députés communistes Stéphane Peu, avant d’ajouter : «Philippe Bas au Sénat sur Benalla était très rigoureux, factuel, pugnace. Paul Vannier, à côté, c’est soft».
Toutefois, tous le reconnaissent, il ne faudrait pas que les effets de communication sur certaines commissions d’enquête ces dernières semaines nuisent durablement à la réputation de celles-ci. «Les pouvoirs que nous donnent ces outils nous donnent une responsabilité et nous demandent donc une certaine éthique et de la retenue vis-à-vis des médias», assume le député MoDem Erwan Balanant, qui a récemment mené, avec l’écologiste Sandrine Rousseau, celle sur les violences commises dans le cinéma et l’audiovisuel.
«Le sérieux de Sandrine, qui n’est pas une députée lambda sans surface médiatique, nous a permis de faire ce travail sereinement, de ne rien instrumentaliser, et de rendre un rapport solide qui va permettre d’apporter des solutions», félicite-t-il. Non sans critiquer, à demi-mot, le travail de Paul Vannier et Violette Spillebout sur Bétharram. «Nous ne sommes pas des procureurs ni des officiers de police. Nous sommes des parlementaires qui avons vocation à évaluer et à faire des préconisations qui ont vocation à être des déclinaisons législatives», juge-t-il.
Certaines commissions unanimement saluées
«Oui, certaines commissions sont instrumentalisées. Il n’empêche qu’elles sont toutes utiles. On a les moyens d’aller au fond des choses, de mener des centaines d’auditions, d’interroger des gens sous serment. Sur plein de sujets, des députés font un travail remarquable», loue la députée LR Virginie Duby-Muller, défendant la commission d’enquête sur les violences à l’école que selon elle «fait son travail» avec un «côté cathartique et bénéfique pour les victimes».
Un avis que ne contredira pas la socialiste Isabelle Santiago, rapporteur d’une commission d’enquête unanimement saluée sur les manquements des politiques publiques de la protection de l’enfance. Durant plusieurs semaines, son travail a permis de faire la lumière sur les nombreuses difficultés du secteur. Et son rapport a permis de fédérer associations et gouvernement et accéléré la mise en place de mesures concrètes. «La ministre Vautrin a fait des annonces avec notamment le changement de décret sur les pouponnières qui devrait être publié fin juillet. Un comité de suivi a été créé au niveau des départements et j’interviens partout en France pour parler de mes préconisations. Cela prouve que les lignes bougent», se félicite Isabelle Santiago. Avant de conseiller : «Il est bien plus important de travailler sur le fond que de faire des coups de communication. Malheureusement, certains ont choisi la visibilité à l’action...».