Etats-Unis : l’encadrement de l’export des puces IA illustre le rôle géopolitique des technologies numériques

C’est le 20 janvier 2025 que Donald Trump est officiellement investi comme 47e président des Etats-Unis. Mais c’est bien une décision prise in extremis par Joe Biden qui fait parler la communauté mondiale de la planète tech.

L’intelligence artificielle exige des investissements financiers, des experts compétents… et des processeurs graphiques conçus pour alimenter les modèles d’IA : les GPU (Graphics Processing Units).

Outre les infrastructures de stockage des données et les ressources nécessaires - notamment l’eau et l’électricité – ces puces sont indispensables à la mise en œuvre des travaux de l’intelligence artificielle. À quelques jours de la fin de son mandat, l’Administration Biden a donc décidé le 13 janvier 2025 d’encadrer strictement par décret l’exportation de ces équipements stratégiques, qui sont au cœur de la compétition mondiale sur le déploiement de l’IA.

Un protectionnisme technologique revendiqué par l'Exécutif

C'est une reprise en main assumée par l’Exécutif de la politique commerciale des acteurs de cette filière stratégique.

Avec ce texte, le Président démocrate a classé les pays du monde en trois catégories :

  • les ennemis des USA (parmi lesquels la Chine, la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord) qui ne peuvent pas acheter des puces fabriquées par des entreprises étasuniennes.
  • les alliés - au nombre de 18 dont la France, l’Allemagne, le Royaume, le Benelux, le Canada, Taiwan, la Corée du Sud ou le Japon – qui pourront acquérir lesdites puces sous réserve d’un contrôle préalable de la part de Washington.
  • le reste du monde - c’est-à-dire des pays comme Israël, le Portugal ou l’Autriche - qui sera limité par des quotas.

Pour compliquer encore un peu le dispositif, Washington fait des pondérations en fonction de la puissance des puces et envisage des répartitions sur des cycles de deux années.

C’est la première fois que des pays européens sont concernés par des mesures restrictives dans le domaine des semi-conducteurs. Une illustration supplémentaire de la tension que suscite la course à l’IA dans la compétition internationale.

Les industriels de l'IA vent debout contre l'initiative de Joe Biden

Les fabricants de ces équipements technologiques ont vivement réagi. À commencer par le premier d’entre eux, le géant NVIDIA (plus de 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel dont 55 % hors des Etats-Unis), rapidement rejoint par les autres acteurs du domaine comme AMD, Broadcom ou Intel.

Ils reprochent d’abord à Joe Biden d’avoir agi dans une certaine précipitation, dans la dernière ligne droite de son mandat. Les périodes de transition présidentielle ne sont pas propices à la conduite de discussions dès lors que nombre des responsables des administrations sont sur le départ. Et aussi de se mêler de leurs stratégies commerciales.

Le mode opératoire est également inhabituel. Car le Président sortant n’a pas opté pour une loi qui aurait fait l’objet de débats et d’un vote. Il a préféré, avec ce texte, procéder à une simple mise à jour d’un dispositif juridique qui existait déjà et qui encadrait les modalités d’exportation des technologies d’IA vers la Chine depuis 2022.

Une décision très politique concernant la technologie

La question de la disponibilité des puces est centrale dans la concrétisation des stratégies des pays et des multinationales en matière d’intelligence artificielle. Car cela concerne tous les domaines de la compétitivité : le commerce, la recherche scientifique, l’énergie, l’industrie, la finance, la médecine… mais aussi les activités militaires.

Certains analystes de marché prévoient pour 2026 une pénurie planétaire de puces, dès lors que les chaînes de production ne seront pas en mesure de répondre à une demande appelée à croître annuellement de 35 % jusqu’à 2027. Une mesure de protectionnisme préventive donc, afin d’assurer le contrôle de la répartition de ces outils numériques.

Qu’adviendra-t-il de cette mesure sous le mandat de Donald Trump ?

Ce sujet technologique et industriel va sûrement faire l’objet d’un traitement politique. Ce qui est certain, c’est que les professionnels du secteur, notamment réunis en collectif au sein de la Semiconductor Industry Association (SIA) ont déjà annoncé leur intention d’obtenir le retrait du texte. Sachant qu’il leur faudra être fins négociateurs car on sait Donald Trump soucieux de préempter le terrain de l’autorité politique sur les sujets de souveraineté technologique. Il a d’ailleurs d’ores et déjà fait savoir que tout ce qu’avait fait son prédécesseur pouvait être remis en question.

Plus qu’une levée totale du contrôle de la vente des puces, les industriels misent donc sur un futur cadre davantage négocié avec les autorités de Washington. Une chose est sûre : dans ce "nouveau monde", les intérêts technologiques, financiers et géopolitiques sont plus que jamais intimement mêlés.