Comment Christian Dullin entend sortir Rugby Europe de l'ombre
Vice-Président de Rugby Europe depuis sept ans, le Français Christian Dullin est candidat, le 8 novembre prochain, à la succession du Roumain Octavian Morariu, l'actuel président de l'instance, qui ne peut se représenter. L'ancien secrétaire de la FFR, sous la présidence de Bernard Laporte, dévoile les axes de son programme pour cette organisation qui gère les compétitions européennes hors Tournoi des six nations.
Le Figaro. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous présenter à la présidence de Rugby Europe ?
Christian Dullin : Je ne suis plus le seul candidat puisqu'un candidat néerlandais se présente également. Concernant mes motivations, je suis vice-président de Rugby Europe depuis maintenant sept ans. J'en connais tous les rouages et toutes les subtilités. J'ai donc travaillé depuis trois ans sur un projet de gouvernance puisque, de par les statuts, le président en place ne pouvait pas se représenter. Là aussi, c'est une forme de logique. J'ai tout le temps été dans mon passé à la Fédération Française de Rugby avec des personnes comme Bernard Lapassé ou Jean-Claude Baquet, j'ai beaucoup baigné dans cette culture européenne puisque, de tout temps, la France a aidé au développement du rugby européen.
Avez-vous d'autres motivations ?
Oui, au-delà de cette influence française, je rajouterai un autre combat entre guillemets parce que je suis un ardent défenseur de la francophonie. Et on s'aperçoit qu'au niveau de Rugby Europe, même s'il y a deux langues officielles, le français et l'anglais, aujourd'hui nos amis britanniques ont pris le dessus. C'est un petit clin d'œil, mais il y aura besoin de réimplanter un peu de francophonie. Après, mon programme est relativement ambitieux dans le sens où, aujourd'hui, Rugby Europe est très peu connu en termes de notoriété. Ce n'est pas l'idéal. Il faut vraiment qu'on sorte de ce qu'on fait aujourd'hui, c'est-à-dire l'organisation de compétitions. On organise le Rugby Europe Championship dans lequel il y a la Géorgie, le Portugal, l'Espagne et des nations qu'on voit en Coupe d'Europe. Mais on organise aussi le rugby à 7, puisque c'est Rugby Europe qui est en charge de la qualification pour les JO. Et enfin, les compétitions chez les jeunes U16, U18, U20.
Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
Si on veut faire monter le niveau du rugby européen, il faut un vrai projet de développement. Et je l'illustre par plusieurs choses : c'est le rugby à l'école, le rugby à l'université et le rugby dans les entreprises. Aujourd'hui, on s'aperçoit que ce ne sont pas des actions menées par Rugby Europe. Il faut qu'on aille vraiment dans ce sens-là, parce que c'est en étoffant notre base qu'on arrivera à améliorer le niveau de chaque pays. Et j'articule tout ça autour des valeurs que représente le rugby, que ce soit les valeurs sociales et sociétales. Parce que le rugby c'est le partage, c'est l'inclusion. Je pense qu'en mettant tout ça bout à bout, il y a un vrai projet ambitieux et réaliste.
Comment gagner en visibilité et faire parler plus de Rugby Europe ?
C'est simple. Aujourd'hui, si on fait un benchmarking (technique marketing basée sur l'analyse comparative) européen des fédérations de sports collectifs - et si on sort le foot parce que l'UEFA c'est un monde à part -, quand on prend le volet le basket et le hand, on s'aperçoit que les fédérations européennes ont entre 15 et 30 salariés, alors que Rugby Europe n'en a que 9. Ces mêmes fédérations ont entre 15 et 30 millions d'euros de budget, Rugby Europe n'en a que 4. Il faut donc qu'on étoffe nos staffs, pour pouvoir apporter une aide vraiment importante à toutes nos nations. Il faut qu'on modifie complètement notre modèle économique parce qu'il faudrait, sur le premier mandat jusqu'en 2028, qu'on arrive à doubler notre chiffre d'affaires, c'est-à-dire le porter de 4 à 8 M€.
Comment comptez-vous faire ?
Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'on a très peu de partenariats privés, donc je veux absolument développer le partenariat privé et le mécénat, justement autour des valeurs du rugby. Il y a beaucoup d'entreprises qui investissent, pas forcément pour payer des maillots, mais pour être associées à des actions de développement. Je vais créer un XV des bâtisseurs, essayer d'amener quinze grosses sociétés européennes à être partenaires de Rugby Europe, ce qui nous permettra d'assurer notre développement. C'est dans ce modèle-là qu'on arrivera à se développer et, donc, à se faire connaître, à avoir une notoriété. Un autre aspect : je me suis aperçu que Rugby Europe n'avait aucun contact avec les instances politiques européennes. Dans les statuts de Rugby Europe aujourd'hui, le président a la possibilité de proposer son secrétaire général. C'est-à-dire que le poste de secrétaire général n'est pas soumis au vote et, parce que la mixité est quelque chose qui me préoccupe, je proposerai Muriel Cottave-Claudet comme secrétaire générale. Elle est aujourd'hui secrétaire générale de la Fédération belge mais travaille depuis vingt ans au Parlement européen. Ce sera un atout.
À la prochaine Coupe du Monde, le nombre d'équipes va passer de 20 à 24 nations. Il y aura une nation européenne supplémentaire, une aubaine pour vous…
Oui bien sûr. On s'est aperçu lors de la dernière Coupe du Monde que le Portugal, la Géorgie et la Roumanie ont fait plutôt bonne figure. Ça passe aussi par là, si on envoie des équipes qui prennent 70 points à tous les matchs, ce n'est pas intéressant. Il faut également qu'on travaille avec nos instances de tutelle, comme World Rugby, les Six Nations, pour qu'on regarde comment, effectivement, on peut aider au développement des nations qui participent au Rugby Europe Championship, (appelé aussi Tournoi B, NDLR) comme la Géorgie, le Portugal, l'Espagne.
Quelle est votre position sur la mise en place éventuelle d'un système d’accession/relégation avec le Tournoi des six nations ?
On ne va pas faire rêver nos équipes. Je ne vois pas dans les quatre ans qui viennent une modification statutaire du Tournoi des six nations qui permettrait d'intégrer une nation de plus, ou, pourquoi pas, de faire un modèle de montée-descente. Je crois qu'aujourd'hui il faut exclure cette idée. Mais, par contre, je travaille beaucoup avec Dominic MacKay, le patron de l'EPCR, pour que les deux équipes européennes qui participent à la Super Cup, une compétition organisée par Rugby Europe, puissent intégrer systématiquement le Challenge Européen. Les Black Lions, une équipe géorgienne qui a gagné la Super Cup, ont été invités en Challenge Européen et ils ont gagné un match au pays de Galles, ça veut dire qu'il y a le niveau. Après, il faut que les Six Nations continuent de remplir leur rôle de tutrice pour les autres nations, en aidant à la formation, à l'apport par des entraîneurs, etc. À ce sujet, je suis en contact avec Tech XV (le syndicat des entraîneurs en France).
Est-ce que vous ressentez qu'il y a quand même une forte demande de la Géorgie pour intégrer le Six Nations ?
Oui, c'est effectivement quelque chose qui n'est pas nouveau. Cela fait 4-5 ans que la Géorgie domine le rugby européen, puisque, chaque année, ce sont eux qui gagnent le Rugby Europe Championship. Pour eux, c'est sûr que ça pourrait être intéressant car ils ont déjà battu le pays de Galles et l'Italie. Même si ce n'est qu'une fois, ça démontre qu'ils sont au niveau. Mais, comme je le disais, il ne faut pas les faire rêver parce que les statuts du Tournoi ne pourront changer que s'il y a une décision unanime. Et je vois mal une nation voter pour qu'elle puisse descendre. C'est donc pour ça que je dis qu’il faut qu'on essaye d'aller dans ce sens-là mais que les choses ne vont pas se faire du jour au lendemain.
Contrairement au XV, le rugby à 7 permet aux petites nations de devenir rapidement compétitive. C'est un axe de développement ?
Effectivement, à XV, il y a une différence de niveau assez importante entre les équipes du top 10 et celles un peu au-dessous. Au rugby à 7, l'écart s'est réduit entre les meilleures nations et les autres, c'est plus facile de rattraper son retard. Et puis, pour les petites nations, il est beaucoup plus facile de démarrer le rugby par des équipes à 7, cela demande moins de monde, ça permet une mixité beaucoup plus rapide également. Des nations comme la Turquie ont misé sur le 7 et ont comme objectif de qualifier une équipe féminine au prochain JO. Pour nous, en termes de développement, le 7 est évidemment une des formes dont on doit se servir pour accélérer le développement du rugby. Je veux pour cela travailler en étroite relation avec les comités olympiques nationaux, en charge du développement de cette discipline olympique.
Vous êtes soutenu dans votre candidature par la FFR,, présidée par Florian Grill, alors que vous étiez dans l'équipe de Bernard Laporte. Vous avez réussi à enterrer la hache de guerre autour de votre candidature ?
Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu de hache de guerre sachant que j'ai quitté mes fonctions (de secrétaire de la FFR). Après, on peut toujours tout reprocher, mais la mandature que j'ai faite avec Bernard Laporte - et que je ne regrette pas - a mis en place la démocratie à la FFR. J'ai connu l'époque à la FFR où les clubs ne votaient pas, seuls les présidents de ligue votaient. Avec Bernard, on a mis en place la démocratie, ce n’est pas pour ne pas la respecter au premier vote contraire.
Concrètement, quel rapport entretenez-vous avec la FFR ?
Comme mon mandat m'y autorise, je siège au comité directeur de la FFR. Mais j'ai clairement dit que je ne m'occuperai pas de la campagne électorale en cours. Depuis un an, je ne suis jamais intervenu ni d'un côté ni de l'autre. Je reste focalisé sur cette candidature à Rugby Europe. Et quand je dis qu'il n'y a jamais trop eu de débat avec Florian (Grill) là-dessus, je sais que c'est dans sa volonté de repositionner la France dans la gouvernance du rugby mondial. On a aussi, dans cet ordre d'idée, Abdelatif Benazzi qui se présente à la présidence de World Rugby. Je suis dans le rugby depuis 40 ans, j'ai toujours été là pour servir le rugby. Donc ce n'est pas aujourd'hui que je vais me lancer dans des querelles intestines. Même si je sais que, sur certains réseaux sociaux, ça m'a valu des insultes, des quolibets. Mais quand on se présente à une présidence, il faut aussi s'attendre à ça.